Vous la sentez vous aussi ? La quille du mois de décembre, ces dix petits jours, parfois un peu moins, parfois un peu plus, où le consensus semble se faire pour ralentir ? Un peu comme en août, le soleil en moins, le foie gras en plus. Parfois certains de mes interlocuteurs me disent d’un air un peu désolé, voire consterné, qu’hélas, du 24 au 31, “la France s’arrête”. Faux-cul (c’est mon deuxième prénom) je fais mine d’acquiescer. “Quelle honte, pays de peignes culs !”.
Alors qu’en moi, une dizaine de lutins sous acide sont en train de déboucher le champagne et de jubiler à la perspective de ne rien branler en toute impunité pendant une semaine.
10 ans que je ne travaille plus pour un patron (mais plutôt pour cinq ou six en général). 10 ans que je savoure ma liberté tout en mâchouillant ma culpabilité comme un vieux chewing-gum sans goût qu’on n’arrive pourtant pas à cracher, dès que je ne me sens pas tout à fait à l’heure dans mes scénarios ou que j’ai l’impression de ne pas en avoir fait assez. C’est le prix à payer, il est malgré tout assez élevé mais pourtant, rien ne me ferait revenir en arrière. Impossible désormais de m’imaginer soumise à un rythme dicté par en haut, de partir au travail le matin, de checker les jours fériés dès septembre pour voir si on se tape encore une fois une année de patron. Très paradoxalement, depuis que je ne suis plus obligée de poser mes congés, je n’en prends quasiment plus. Trois semaines l’été et donc, celle à venir, entre Noël et le jour de l’An. Quelques week-ends prolongés de ci de là, mais rarement sans mon ordi et toujours “joignable”, comme je le jure à mes interlocuteurs qui parfois ne me le demandent même pas. Syndrome de la bonne élève un jour…
Plus les années passent, plus ce qui me réjouit en pensant à ces vraies et rares vacances, c’est ça, la perspective de laisser sur le bas côté cette incapacité à me sentir totalement légitime à ne pas être en train de bosser. M’accorder une sieste sans mettre de réveil, me perdre dans un polar jusqu’à des heures indues parce que je sais que le lendemain je pourrai dormir, palabrer avec mes enfants, m’abrutir de séries, marcher dans le froid avec le Churros, boire des martinis le soir avec les copains, laisser mon esprit s’évader et parfois, même, planter des graines d’histoires que je récolterai à mon retour. Et puis faire ce bilan des mois passés. Il y a quelque chose de rassurant à la fin de l’année, à se dire qu’on peut ranger certaines choses et faire de la place pour d’autres. Rassurant et illusoire, malheureusement le 1er janvier ne vient pas toujours effacer l’ardoise. Ces deux dernières années, je les ai traversées un peu en apnée, me noyant dans le travail tout en essayant de tenir bon dans les turbulences qu’on traversait. Je ne les détaillerai pas ici mais si je les évoque c’est parce que je suis bien persuadée que certain.e.s d’entre vous se prennent aussi du vent dans les mollets. Alors certes, savoir que d’autres tanguent également n’est pas d’un grand secours, mais tout de même, dans un monde où il faut afficher à tout prix son bonheur, se savoir moins seul est je crois un peu réconfortant.
Tout ça pour dire que mon bilan, cette année, il est mi-figue mi-fugain comme disait ma consoeur Violette. Mi-figue parce que j’ai eu la chance immense de travailler sur des projets qui m’ont enthousiasmée, dont des films et séries qui sortiront dans les mois à venir, mi-fugain parce que certains sont morts dans l’oeuf après des semaines de gestation (le destin hélas d’une proportion assez importante de scénarios). Mi-figue pour les couchers de soleil grecs, la découverte de l’île merveilleuse de la Réunion ou ce week-end à Palerme en hiver. Mi-fugain pour le spleen qui semble s’accrocher à nous depuis l’avènement du Covid, lequel a coïncidé avec une prise de conscience collective il me semble, de l’imminence du réchauffement climatique. Mi-figue pour l’amour, mi-fugain pour une grand-mère qui s’éteint. Mi-figue pour les fous-rires, mi-fugain pour les larmes.
Et maintenant, on fait quoi, demandait un petit personnage à la fin d’un livre de Claude Ponti - je crois - que mes enfants adoraient. Maintenant, répondait la maman à cet enfant, alors que leur maison flottait sur la mer après un déluge, “maintenant on voyage”. Voyageons, virtuellement, écologiquement si possible, mais voyageons, dans les livres, les films, nos rêves et nos envies. Avançons puisque nous ne pouvons faire que ça.
Voilà, à part ça, pour conclure cette newsletter peut-être un peu mi-figue mi-fugain aussi du coup, je vous recommande chaleureusement la série “Life” Sur Arte, qui est un peu tout ça à la fois aussi. Une maison partagée en appartements, des voisins à qui il arrive des choses somme toute assez communes mais racontées de façon à ce que ça soit singulier. Tout ça à Manchester, avec des pubs, de l’humour anglais, un ciel un peu gris et des pelouses bien vertes. Vraiment j’ai regardé les six épisodes comme on déguste des shorts breads trempés dans un bon thé Earl-grey.
PS: il est assez probable que cette newsletter soit la dernière de l’année, peut-être reviendrai-je lundi prochain mais si je parviens à respecter mes plans et à écluser tout ce qui doit l’être avant la quille, je délaisse un peu mon ordinateur dès dimanche prochain.
PS 2: Je vous embrasse bien fort, merci pour les commentaires, les réactions, votre fidélité. J’ai été à la fois très heureuse de l’accueil réservé à la lettre de la semaine prochaine et bouleversée en constatant à quel point vous étiez nombreux.s.es à ployer sous la pression et les injonctions de perfection maternelle.
PS3: Si je ne reviens pas la semaine prochaine, je vous souhaite des bilans positifs et quelques heures suspendues pendant que la France s’arrête ou presque. (je me doute bien que tout le monde n’a pas la chance d’en profiter, à ceux là bon courage).
Je vous suis depuis longtemps, très longtemps, et puis quand j’ai écris votre nom sur un communiqué pour une séries dont je m’occupais, j’ai demandé à la productrice si c’était vous et j’ai avoué adorer votre écriture .. mon seul regret ne pas vous avoir croisé sur le tournage …
J’ai découvert la série Life par hasard et j’ai vraiment adoré ces scènes de vie … profitez bien de ce break nécessaire.. jamais simple de couper quand on est indépendant..
bonne fin d’année si on doit attendre 2023 pour une nouvelle lettre ..
merci encore pour ce petit rendez-vous que je partage avec mes filles !!