Ces derniers temps, je ne sais pas si c’est le fait de payer 35 euros ma plaquette de beurre, de compter les gouttes de pluie depuis trois mois ou de ne pas avoir encore digéré la défaite contre l’Argentine (puisqu’on vous dit que le but aurait pas dû être validé, y’avait tout le staff argentin sur le terrain et c’est interdit putain !), mais quand on me demande si “ça va ?”, j’ai systématiquement une micro hésitation. Et je réponds “ça vaaa…” (tout est dans le “aaa”) avec une très légère inflexion dans la voix. Une inflexion qui signifie “pas vraiment mais on va pas s’étendre sur la question parce que premièrement c’est pas ce que tu attendais en la posant et deuxièmement en vérité c’est flou”. Vous voyez ou pas ?
Et ce qui m’inquiète c’est que de l’autre côté, y’a assez souvent la même inflexion (alors que je ne fréquente pas que des amateurs de foot). C’est pas un “non” franc et direct, mais c’est vraiment pas un oui massif non plus. Plutôt une sorte de “bah faut bien hein”. Faut bien tenir en dépit de la morosité écologique, politique, sociale (et footballistique). Faut bien continuer à tracer, c’est pas tout ça mais on a de la route (avant d’en finir pour de bon). Faut bien rester debout parce qu’en plus, c’est pas sûr sûr que quelqu’un nous tendra la main pour nous relever si on tombe. On est un peu comme Joel et Ellie, en fait, faut avancer. Sauf que bien sûr on a pas tous la chance d’être accompagnés dans la vie par Pedro Pascal (sorry les gars mais mon churros est à ça de faire sosie Pedro), tant qu’on a pas trouvé les fireflies, on s’arrête pas. (grosse rèf “The Last of us”, si vous ne l’avez pas vu désolée, vous n’avez pas dû comprendre grand chose de la dernière phrase).
Ce que je veux dire, c’est que je ressens une sorte de lassitude collective, mêlée à de la résignation. Comme si les meilleures heures de l’humanité étaient clairement derrière nous (voire en ce qui me concerne et pas mal de mes proches dans la même tranche d’âge que moi, NOS meilleures heures). Comme si on se dirigeait doucement mais sûrement vers une bonne grosse dépression collective.
Et quand on y pense, c’est pas dénué de sens, hein, les indicateurs ne plaident pas en la faveur d’une rave party géante et d’une insouciance généralisée. Mais peut-être que justement, c’est le moment ou jamais de nous rappeler que finalement, le but ultime, c’est de se marrer. Pas juste pour oublier, pas un rire de désespoir, non, un rire conquérant, un rire qui nourrit (l’équivalent d’un steak à priori). Un rire qui nous ramène à cette pulsion de vie et qui peut-être nous aidera à lâcher du lest sur tout ce qui cause la perte de notre planète et de notre société. Qui a envie de faire une commande Shein après avoir rigolé toute une soirée ? Quoi de mieux, pour prendre du recul par rapport à tout ce qui nous pèse (le boulot, l’emprunt à rembourser, la bronchiolite du petit dernier, la boite à pétards trouvée sous le lit de l’ainé, etc) (sur ces quatre propositions, une seule ne me concerne plus) et à terme augmente les risques cardio-vasculaires, qu’un fou rire dont tu finis par avoir peur de ne pas te relever ?
Je ne sais pas si c’est parce que moi même ces derniers mois, j’avais parfois un peu de mal à répondre à ce “ça va ?” qui généralement d’ailleurs n’appelle justement pas autre chose qu’un oui poli et convenu, mais depuis quelques semaines, je suis en quête de ça. Et uniquement de ça. Me bidonner. Jeudi, alors que je prenais l’apéro avec mon collectif de scénaristes (un bien grand mot pour définir un groupe assez hétéroclite d’anciens auteurs de Parents Mode d’emploi, qui se rassemblent deux ou trois fois par an sans autre objectif que se bourrer la gueule et multiplier les vannes), j’ai vraiment eu cette illumination. Ces quatre heures - sous perfusion de vin blanc, certes, mais je crois que sobre ça aurait marché aussi - m’ont sans doute fait autant de bien qu’une semaine de vacances à l’île Maurice (ce qui ne veut pas dire que je ne lorgne pas sur Voyage Privé tous les jours, ma démonstration a ses limites). A un moment, j’ai vraiment, littéralement, failli crever de rire. Je ne parvenais pas à reprendre ma respiration et comme ceux qui étaient responsables de mon état continuaient leur show, impossible de calmer le jeu deux secondes. Et je me souviens avoir brièvement pensé qu’après tout, c’était pas la pire façon de partir, sans doute même la meilleure. Quand ensuite, avec 12% de batterie, sous une pluie battante à 1h du mat en plein quartier des Halles, je ne trouvais aucun taxi ni Uber, je n’ai même pas réussi à m’énerver. Comme si on m’avait mis dans le cornet du Xanax pour dix jours.
Ce qui est fou c’est que dès le lendemain j’ai pris rendez-vous chez le coiffeur, chose que je repoussais depuis des semaines au nom du “à quoi bon”. Pas pour séduire ou quoi, juste parce que l’énergie était revenue. (oui bon, j’ai bien conscience que je viens de faire tout un pataquès sur les vertus existentielles du rire pour finir par vous révéler que je suis allée faire un balayage après une cuite, on cherche un peu le sens, c’est pas faux). Bref, comme me le disait B., celle par qui d’ailleurs ce collectif foutraque n’existerait pas, le plus gros problème de “LOL qui rit sort”, cette émission sur Amazon prime dont tout le monde parle, c’est son concept. L’interdiction du rire. Parce que je cite B., “perdre des rires dans la vie, c’est du gâchis”. (oui, soudain, je pars donc sur LOL qui rit sort, juste pour cette phrase).
Voilà, sinon, vous, du coup, ça va ? Ou “ça vaaaaa” ? Moi franchement là tout de suite, avec la branlée infligée aux Anglais samedi et trois soirées de suite avec des amis, bah ÇA VA. Et j’espère que ça va durer. Mais si je sens les “aaa” revenir, je crois que je vais m’auto-prescrire un épisode du Flambeau, un énième visionnage des “Bronzés font du ski” ou de Family Business. Ça parait un peu mièvre peut-être mais je crois qu’en réalité, c’est tout simplement vital. Et si ça ne tenait qu’à moi, il existerait une distinction nationale qu’on décernerait aux personnes drôles. Pour avoir la chance d’en côtoyer quelques unes je crois pouvoir affirmer que sans elles la vie aurait beaucoup moins de couleurs.
Je vous embrasse.
PS: Parce que je ne suis pas à une contradiction près, je vous conseille vraiment de regarder le film “A plein temps”, avec Laure Calamy. Dispo sur Canal. On est en apnée pendant une heure et demi, avec cette femme dont le quotidien est justement dénué de respiration et de rires, obligée de courir du matin au soir, de jongler entre un boulot éreintant et des enfants dont elle s’occupe seule. Il ne s’y passe pas grand chose mais comme on se l’est dit avec le Churros ensuite, c’est filmé comme un thriller et ça vous tient en haleine et en tension. Bah ouais on peut avoir comme ambition première dans la vie de se marrer tous les jours tout en s’infligeant les films, les livres et les séries les plus glauques de la terre. Cherchez pas, y’a pas de logique.
Salut.
Un lundi ça vaaa, mais beaucoup mieux grâce à ce rendez-vous hebdo qui pose les mots justes sur un sentiment diffus! Allez c’est parti à la recherche d’une bonne tranche de rire, pour faire passer l’ambiance ( 49.3, la pluie, les bouffées de chaleur, toussa toussa..)! Merci !😊
Mille pour cent d'accord : rire avec et jamais contre, rire beaucoup et aimer, merci encore une fois pour ce rendez-vous matinal qui sonne si juste 😊