Il y a quelques jours, une amie me posait cette question: “comment tu fais pour parler de toi et ne pas avoir peur que des gens du boulot par exemple te lisent ?” Ce à quoi j’ai répondu un peu sans réfléchir, que c’était très simple: je n’y pense pas. Ce qui n’est pas totalement juste. Ma seule ligne de conduite depuis 2006, année où j’ai commencé à bloguer, est la suivante: ne jamais utiliser ces écrits intimes et néanmoins publics pour passer un message personnel. Et donc, faire en sorte de ne blesser personne.
Ceci étant dit, ça c’est la théorie. En pratique, je n’ai pas toujours réussi et si j’ai fini par arrêter mon blog c’est aussi parce que mes enfants ayant grandi, il m’était devenu impossible de chroniquer leurs réflexions, leurs bons mots ou leurs péripéties. Je me suis en effet pris quelques taquets bien sentis sur le respect de leur vie privée et la façon dont j’avais pu me permettre parfois, pour les besoins narratifs, d’exagérer certaines tranches de vie.
Je pourrais prétendre avoir bien pris les choses et m’être immédiatement confondue en excuses, dans les faits là encore, ça n’est pas exactement ce qui s’est passé. Je me suis drapée dans ma dignité et j’ai joué les victimes incomprises. Bon ensuite je me suis excusée et j’ai réalisé que si adolescente ma mère avait raconté ma vie sur internet - qui n’existait pas, certes - j’aurais sans doute commis un homicide.
Toujours est-il donc que lorsque j’ai décidé d’écrire cette newsletter, je me suis fait la promesse de ne plus jamais exposer qui que ce soit d’autre que moi. Et c’est sans doute pour cette raison aussi que j’éprouve un malaise certain lorsque je tombe sur des posts d’instamums qui mitraillent leurs gosses, les utilisent pour vendre des couches, des babycook ou autres pom-potes. Non seulement je plains ces enfants qui sont à la fois des faire-valoir mais aussi des sources de revenus pour leurs daronnes (imaginez la pression inconsciente sur leurs épaules) mais je tremble pour ces mères qui un jour passeront à la casserole. Parce que si quelques lignes - hilarantes au demeurant - sur des anecdotes de vie ont pu à un moment donner l’impression à mes enfants que je leur volais leur existence, imaginez l’effet de ces centaines de photos sous tous les angles, dont on n’ose imaginer par qui elles sont potentiellement regardées.
Bref, pour revenir à la question de mon amie, je ne pense en effet pas tellement à ceux qui me lisent, parce que je n’écrirais plus rien. Néanmoins, j’ai, au début de mon blog qui alors était assez confidentiel (=> pas encore lu par ma mère) confié certaines choses que je ne coucherais plus sur le clavier aujourd’hui. Mais d’une manière générale, je ne m’interdis pas grand chose. Ma crainte est d’avantage de faire des fautes de style ou de goût que de choquer ou d’abimer mon image (depuis que tout le monde sait que j’ai du mal à payer mes frottis ou qu’il peut m’arriver de me balader une journée entière avec une culotte roulée dans la jambe de mon jean, je ne crois pas avoir encore beaucoup de dignité à sauver).
Je dirais même que ma crainte ultime est de tomber dans un récit qui échouerait à parler à ceux qui le lisent. Je ne prétends pas à l'universalité à chaque fois, mais mon ambition a toujours été, dans cet exercice d’auto fiction comme j’aime à l’appeler avec la modestie qui me caractérise, que ça “résonne” chez vous. Que ce soit parce que ça vous rappelle quelque chose de votre propre vie ou au contraire que ça vous étonne parce que très éloigné de vous. En d’autres termes, choquer, pourquoi pas, ennuyer, j’espère que non. Alors bien sûr que je ne dis pas tout. Premièrement donc parce que dire tout impliquerait de trahir cette promesse que je me suis faite de ne plus impliquer mon entourage et deuxièmement parce qu’il faut savoir en garder pour soi, attendre que ça ne soit plus trop douloureux, trouver une façon de raconter qui dépasse justement la simple confidence qu’on ferait à son psy et tenter de “sublimer” l’histoire quitte à l’enjoliver ou la travestir un peu, pour qu’elle devienne divertissante ou touchante. La frontière est fine je trouve entre le journal intime qui devrait le rester et une newsletter potentiellement intéressante pour d’autres que soi et je ne suis pas sûre de toujours y parvenir. Mais pour répondre à nouveau à cette amie que je remercie de m’avoir interrogée parce que ni vu ni connu ça m’a donné in extremis un sujet pour cette lettre, non, je ne me soucie pas trop de qui me lit et de ce que ça peut avoir pour conséquence. Après tout ce ne sont que des mots qui s’envoleront comme d’autres avant eux et si parfois, sur un malentendu, ils peuvent faire passer le temps d’un trajet de métro, accompagner un café ou faire passer un coup de spleen, ils ne seront pas totalement vains. Et si pour ça il faut que j’aille racler mes fonds de tiroirs de moments gênants (je crains de les avoir déjà pas mal exploités en 12 ans de blog, mais puisque c’est un support différent je ne m’interdis pas de revenir sur certains d’entre eux dans les prochains numéros) et raconter à nouveau comment par exemple j’ai un jour renversé mon coca (oui mais du light) sur Valérie Pécresse en inondant au passage l’intégralité de ses notes lors d’un trajet en Falcone reliant Bruxelles à Paris (beaucoup de sujets à débats dans cette phrase non ?), je n’hésiterai pas.
Je vous souhaite une bonne semaine, la mienne s’annonce bien bien remplie.
N’oublions pas que tu as aussi mangé du caca… ( de Rose pour les lectrices récentes) oui j’ai bonne mémoire 😇
Pendant des années tu as été ma dose quasi quotidienne, tes minute par minute me manquent cruellement, je me souviens de l’entrée au CP des twins, de la conception d’Helmut alias l’Iroquoise, et je n’oublierai jamais ton coup de pouce quand j’ai lancé mon entreprise…
On se retrouvait entre nous au rade, c’était avant, maintenant tu nous offres cette lettre trop rare à mon goût mais merci pour ça aussi !
Aaaahhhh le plaisir de te lire dès le petit matin comme au temps du blog ! Une bonne semaine qui commence ! Tu es l’un des blogs que j’ai le plus lus et je me souviens bien de V Pécresse et de bien d’autres tranches de vie (but where is the computer ?) et d’Helmut qui ne dormait pas etc….
Effectivement cette mise en retrait pour tes enfants s’explique totalement, comme tu le dis c’est troublant et angoissant cette exploitation parfois de l’image de son enfant…. Delphine de Vigan avait écrit un livre bien documenté et descriptif « les enfants sont rois », j’avais découvert avec effarement l’étendue du phénomène….
C’est toujours un plaisir de te lire et effectivement ces nouvelles newsletters continuent de résonner agréablement pour moi !