Quelques minutes avant d’écrire ces mots, j’ai dit à ma fille et au churros que je n’avais pas encore commencé ma newsletter et que je n’avais pas la moindre idée de ce dont j’allais parler. Ce à quoi Rose m’a répondu, espiègle, “bah tu vas sans doute commencer en disant exactement ça et le reste viendra”. Dont acte. Problème. Je ne suis pas sûre qu’il y ait un “reste”. Enfin, si, sûrement, compte tenu du fait qu’on me range, à raison, dans la catégorie des bavardes et que rien, non rien, ne me fait plus peur dans la vie je crois, que les “blancs”. Enfin si, il y a des choses qui me font davantage peur, comme à peu près toutes les maladies, que je m’auto-diagnostique généralement vers 3h du matin, à la lueur minimale de mon écran de téléphone pour ne pas réveiller le churros.
Mais à part ça, donc - ce qui en vérité n’est pas rien, on n’imagine pas, quand on n’est pas hypocondriaque, le nombre de saloperies qu’on peut attraper - ce qui me terrifie, ce sont les moments où soudainement, personne ne parle. Si ça se trouve d’ailleurs, ces deux phobies prennent leur source au même endroit, une peur panique de mourir et quoi de plus proche finalement de la mort que le silence ?
J’ai trouvé la parade, je suis capable de meubler des heures durant plutôt que d’avoir à affronter le mutisme de mes interlocuteurs.
Deux ou trois exceptions bien sûr, mon mari, mes amis proches, mes parents, mes enfants. Avec ces personnes là, je parviens même à trouver du plaisir à ce que peu soit dit. Mais sinon, c’est la tétanie. Bref, parler pour ne pas raconter grand chose, c’est une compétence que j’ai acquise assez tôt, pour ne jamais me retrouver dans cette situation.
Je suis toujours extrêmement admirative des personnes qui ne semblent pas s’émouvoir des longues pauses, qui sont capables - autre petit problème en ce qui me concerne - de vous regarder droit dans les yeux en souriant, sans pour autant chercher à parler. Je me souviens avoir évoqué ça avec ma psy, je crois qu’elle avait suggéré une difficulté à supporter l’intimité. Bien vu Sherlock.
Finalement, on reste l’enfant qu’on était. Petite, je me cachais sous les meubles quand il y avait des invités, pour que personne ne me regarde. (Ce qui, toujours selon mon quelqu’un, était paradoxalement sans doute une façon d’être au premier plan. Cacher ce qu’on ne veut pas montrer, c’est une façon assez infaillible de le faire remarquer, un peu comme les gens qui mettent des lunettes noires à l’intérieur d’un restaurant). En grandissant, j’ai opté pour le verbe haut, le rire souvent gras, l’extrême sociabilité. Mais finalement, tout ça n’est sans doute qu’un écran de fumée. Il y a toujours une part de moi qui rêve de filer sous la commode (ce qui, anatomiquement parlant, est aujourd’hui hélas beaucoup plus compliqué).
Lorsque je voyais encore ma psy, je crois d’ailleurs que ce qui était le plus difficile, était de soutenir ce regard, qu’elle braquait sur moi dans un silence total au début de chaque séance. Même après plusieurs années, je ne suis parvenue que quelques rares fois à le lui renvoyer, pour le détourner quasi instantanément.
Rose avait raison, le “reste” est venu finalement. A part ça, puisque malgré tout l’objet d’une newsletter est tout de même de raconter un peu plus que du rien, j’ai été vraiment touchée par deux choses ce week-end. L’exposition Manet Degas à Orsay, qui met en scène un nombre assez impressionnant de toiles de ces deux maitres, des plus connues (Olympia notamment) à d’autres que je n’avais jamais vues, comme “L’évasion de Rochefort”, un de ces tableaux qui vous happe et vous éblouit, par sa lumière et son mystère. Non seulement c’était passionnant mais le monde qui se bousculait pour admirer ces oeuvres m’a, je crois, réconfortée. Le beau fait venir du monde. Cela m’a d’autant plus réconfortée que quelques heures auparavant, j’avais été bouleversée par une actu “people” qui certes n’est pas de la plus grande importance mais qui dit tant sur la violence de notre époque. J’écris “bouleversée” et je n’exagère pas, parce que bien sûr, en bon être humain égocentrique, j’y ai projeté quelque chose de moi. Il s’agissait d’un post Instagram de la soeur de Benjamin Biolay, s’indignant des atrocités qu’elle lisait depuis 24h sur Anna Biolay, sa nièce. Cette dernière, âgée de 20 ans, a fait ses premiers pas à Cannes la semaine dernière, aux côtés d’ailleurs de son père. On peut évidemment s’agacer de cet héritage qui se transmet dans les familles de comédiens. On peut être révolté de voir tant d’apprentis acteurs qui n’ont quasiment aucune chance d’être un jour castés, quand des “enfants de”, eux, ont peu de portes à enfoncer avant de voir leur nom au générique.
Mais d’un autre côté, comment s’étonner qu’après avoir baigné dans ce milieu toute leur vie, ils aient envie de s’y frotter ? De la même façon que les enfants de médecins deviennent souvent chirurgiens ou dermatos, que les vignerons se transmettent leurs exploitations de père en fils, les comédiens le sont de génération en génération. Ça n’est pas ça qui est choquant, c’est surtout que l’ascenseur social marche toujours dans le même sens.
Surtout, que l’on s’agace, oui. Que l’on décide dans la foulée d’écrire sur les réseaux des mots cruels sur le physique de cette jeune fille, qu’on la réduise à sa silhouette ou à une ressemblance avec son père jugée par certains peu flatteuse (pas par moi vous vous en doutez), ça me débecte. Alors bien sûr, il y a plus à plaindre qu’Anna Biolay et il existe des causes plus urgentes. Ou pas. Parce que ce micro événement raconte tellement de ce qu’on se sent autorisé à dire, de la perte de nos valeurs. Derrière ces insultes, il y a des comptes de personnes ayant elles mêmes des enfants. Des gens qui savent combien certains mots marquent au fer rouge. Qui parce qu’elle a un père et une mère célèbre, estiment que cette gamine peut être moquée sans conséquences.
Comment en sommes nous arrivés là, à nous sentir autorisés, tous et toutes, à vomir notre aigreur sur ces réseaux, comme si ça ne comptait pas ? Sommes nous si malheureux que nous avons besoin pour nous sentir mieux, de nourrir une détestation pour ces gens qui s’exposent et que nous ne connaissons pas ? Moi la première, je suis capable de me moquer d’une telle, d’avoir parfois envie de laisser un commentaire acerbe. Parfois, je me dis que ces réseaux, la vacuité de ce qui y est posté, causeront plus rapidement notre perte que le réchauffement climatique. Une chose est sûre, on est pas tirés vers le haut et je m’inquiète un peu pour la relève, biberonnée à ça depuis la petite enfance… En tous cas, peut-être que parfois, finalement, le silence a du bon.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui, essayons d’être plus doux, bordel.
PS: j’ai saigné la saison 2 de “Toujours là pour toi” sur Netflix, une série qui flirte souvent avec le soap, mais qui raconte l’amitié féminine avec une belle justesse.
La peur du silence vous sied fort bien et nous offre, une fois encore, une écriture juste et percutante.
Et comme vous, je suis effarée par la capacité malheureusement exponentielle qu’ont les humains à éreinter les autres sous couvert de l’anonymat des réseaux sociaux. Je soutiens cette jeune femme qui doit affronter cette déferlante de méchanceté gratuite, comment y résister sans dommages psychologiques! Je lui souhaite d’avoir les épaules suffisamment solides et un entourage aimant pour savoir relativiser. Votre post nous donne encore une fois de réfléchir à nos actes, puisse t’il y parvenir... Merci à vous
Bonjour Caroline
Les commentaires des RS me ramènent toujours à cette scène d e »la vie est un long fleuve tranquille » où les Groseille insultent leur écran de télévision : jalousie haine de l autre et bêtise …!!! Sauf que ce qui est drôle au cinéma entraine parfois des gestes dramatiques dans les RS !!!