Ces dernières semaines, j’ai relayé fièrement sur les réseaux des infos sur des téléfilms bientôt diffusés ou des séries sur lesquelles je travaille Bien sûr, il y a de la vanité là dedans et des vestiges de ma vie d’influenceuse qui maitrisait à la perfection le personal branling. Mais ces stories étaient aussi le reflet de ma satisfaction: le travail de scénariste est très solitaire, abstrait et invisible, du coup quand il se concrétise enfin, c’est agréable et source de joie. Ces publications ont pu donner la sensation d’un certain accomplissement, voire d’une vie professionnelle couronnée de projets qui se réalisent. Je tiens à rétablir la vérité: ça n’est que la partie émergée de l’iceberg. Etre scénariste c’est passer plus de temps à essuyer des refus, encaisser des audiences décevantes ou revoir sa copie pour la dixième fois qu’à récolter des compliments ou des citations élogieuses dans des articles de presse. Je ne vais pas m’en plaindre, j’ai choisi cette voie et je suis pleine de gratitude de pouvoir gagner ma vie en écrivant des histoires. Mais ce serait mentir que prétendre que c’est tous les jours la fête.
Surtout, là où je veux en venir, c’est que j’ai remarqué qu’en cas de revers, nous ne réagissons pas souvent de la même façon, mes collègues masculins et moi même.
Je précise immédiatement que la suite de cette newsletter ne s’appuie sur aucune étude précise - même si je suis à peu près sûre qu’il en existe qui vont dans mon sens, de près ou de loin - mais uniquement sur une observation personnelle, renforcée par certaines conversations avec mes pairs féminines.
Prenons un exemple assez courant. Je rends un scénario à la production. Quelques heures ou jours plus tard, après une réunion plus ou moins musclée, je repars avec une douzaine de pages de notes et un message assez limpide: 90% du script est à revoir et le reste est loin d’être génial.
Dans mon cerveau, le mécanisme de flagellation se met alors en oeuvre. J’ai écrit de la merde. De toutes façons, j’ai réussi à passer entre les gouttes depuis dix ans mais ça y’est, l’imposture est révélée au grand jour, je suis nulle. J’écris de la merde parce que je SUIS une merde. Je vais rembourser ce qu’on m’a déjà payé et je vais me porter volontaire à la boulangerie pour ce poste de vendeuse qu’ils n’arrivent pas à pourvoir depuis deux ans. Je serai sans doute également incompétente mais c’est un plan B comme un autre. En plus je suis une mauvaise mère, j’ai grossi, mes cheveux sont mousseux - on en reparlera mais qu’est-ce qu’il se passe après cinquante ans avec les veuchs ? C’est moi où ils se prennent pour des poils pubiens ? - mes chats me détestent et puis j’avais qu’à pas croquer dans cette putain de pomme. Pardonnez-moi mon dieu parce que j’ai pêché.
Du côté de mes confrères mâles, la réaction est légèrement différente. Certes ils accusent le coup mais jamais, non jamais, je ne les entends dire qu’ils sont nuls. Ils auront tendance à estimer à minima que leur texte a été mal compris, que la direction prise par ceux d’en haut (producteurs ou diffuseurs) diffère de leur vision à eux. Ils seront certes en colère ou déçus et ne caricaturons pas, ils peuvent être capables de remettre en question leur scénario. Mais il est extrêmement rare qu’ils se dévalorisent ou battent leur coulpe. Et jamais ils ne confondent un mauvais résultat avec eux mêmes. Peut-être que je ne suis tombée que sur des hommes dépourvus de faille narcissique et aux chakras très alignés. Mais je ne crois pas. Je suis à peu près sûre qu’ils doutent aussi et qu’ils traversent des sales moments quand tout ne marche pas comme prévu. Mais de là à envisager un walk of shame avec jets de chaux brûlante pour se faire pardonner leur nullité, non.
Il est probable aussi que certaines femmes scénaristes réagissent avec un peu plus de lucidité et de mesure que moi. Mais vraiment, dans l’ensemble, si je veux simplifier, mes consoeurs prennent la faute, mes confrères la rejettent.
Et je crains que ça ne soit pas limité à mon seul métier. J’en suis même certaine parce que j’avais également observé le phénomène quand j’étais journaliste. Je n’invente pas le fil à couper le beurre, mais je suis à peu près persuadée que non seulement ça vient de l’éducation que nous recevons dès la tendre enfance - “tu n’as pas surveillé ton petit frère, il s’est fait mal, aide ta maman, tu vois bien qu’elle est fatiguée, ne dis pas de gros mots c’est vilain dans la bouche d’une jeune fille, ne réponds pas aux professeurs, etc” - mais que ça remonte encore plus loin, à la fameuse Eve, cette trainée notoire qui a croqué la putain de pomme et par là même semé la discorde pour des siècles et des siècles.
Nous sommes conditionnées pour endosser tous les péchés, c’est connu, on est des sorcières et quand on a nos règles, ça fait tourner le lait. Encore une fois, j’ai bien conscience d’être un modèle du genre, à dix ans mon cauchemar récurrent c’était d’être allongée les bras en croix dans une église pendant que le curé me fouettait avec des branches de houx pour me punir de je ne sais quelle mauvais action (oui bon pas sûre que je ne sois pas un peu cintrée).
Le problème, c’est que c’est un cercle vicieux. Plus on accepte de prendre la faute, la nature ayant horreur du vide, plus on devient des victimes expiatoires parfaites. Et plus les hommes s’opposent avec fermeté à la critique, plus ils parviennent à inverser la tendance. Voire à déstabiliser leurs interlocuteurs. Surtout, je ne vous dis pas l’énergie que je perds dans ces moments là, une énergie qui me serait bien plus profitable si je la dirigeais autrement, pour redresser la barre par exemple, en m’épargnant cette étape incontournable où je suis à terre, persuadée d’être bonne à jeter. (bon ensuite je la redresse hein la barre, du moins j’essaie).
Je pensais vraiment qu’en vieillissant je progresserais rapport à tout ce qui est assurance et confiance en soi. Mais force est de constater qu’il n’en est rien ou presque. A chaque retour d’un diffuseur ou d’un producteur, à chaque lendemain d’audience, je suis suspendue au verdict d’un tiers. En fonction de son appréciation, je basculerai soit du côté des étrons soit de celui des super-héros ( “C’est génial, bravo !”= > Moi, les cheveux - plus du tout mousseux - au vent: “I Believe I can Fly…”) (la semaine dernière, j’ai expérimenté les deux états. Thanks God, j’ai commencé par le mauvais et fini par le bon, du coup j’ai passé un bon week-end, mais ça n’est pas toujours dans ce sens malheureusement).
Parce que bien sûr, dans les cas - plus rares, encore une fois, parce que tout simplement un bon scénario est toujours précédé de versions qui ne fonctionnent pas - où je suis félicitée ou “validée”, ma joie est aussi démesurée que peut l’être mon désespoir quand j’ai échoué. Ce qui là aussi est problématique. Personne ne devrait conditionner l’image de soi à l’approbation d’un.e autre. Surtout finalement, ça n’est pas parce qu’on a “réussi” qu’on est une personne géniale pour autant. On est juste la même que ce jour où on a rendu une mauvaise copie (qui d’ailleurs n’est pas forcément mauvaise, juste “in Progress”) (là c’est la “moi mature” qui parle à la “moi insécure”) (on est plusieurs dans ma tête mais ça vous l’avez compris depuis un moment).
Sachant que bien sûr, dans ces cas là, je ne peux m’empêcher de trouver plein de raisons exogènes à mon succès - “c’est grâce à untel, c’était pas très difficile, c’est parce que la productrice m’aime bien, etc”.
Bref, dans un monde idéal, on se rappellerait régulièrement que ce qui est nul, c’est éventuellement le travail qu’on a livré et pas soi. On n’aurait pas comme réflexe premier de douter immédiatement de nos capacités. On envisagerait que l’autre a peut-être tort, ou qu’en tous cas il n’a pas forcément la science infuse. Et j’ai vraiment l’impression que les hommes partent en l’occurrence avec une longueur d’avance en la matière. Quoi qu’il en soit, donc, tous ces discours sur l’échec qui serait une source d’apprentissage, qui permettrait de se relever plus fort, etc, vaut surtout selon moi pour les hommes, justement parce qu’ils ont grandi avec une confiance dans leurs capacités plus grande que les femmes.
Voilà, je n’ai pas tellement de conclusion, en plus si ça se trouve je me trompe complètement, auquel cas je suis entourée de femmes qui doutent et d’hommes sûrs d’eux qui ne sont pas représentatifs. Mais je suis curieuse d’avoir vos avis sur la question.
Et sans transition, je vous conseille, pour rester un peu dans cette thématique, cette excellente série espagnole sur Netflix, “Machos alfa”, qui traite avec un humour décapant de la difficulté des hommes à se déconstruire et à s’éloigner du patriarcat. Un genre de sex and the City ibère et masculin. Savoureux et moins superficiel que ça n’en a l’air.
Bonne semaine.
PS: je ne dis pas que se remettre en question n’a aucun intérêt. Je me suis juste fait la réflexion qu’on ne se comportait pas de la même manière en fonction de notre genre face à une difficulté professionnelle. ça ne signifie pas que les femmes s’en sortent pas et que les hommes se débrouillent. Juste on a pas les mêmes façon de dealer avec l’échec…
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Je ne sais pas par où commencer tant il y a de choses à dire !
Le syndrôme du bon élève (le bon point, la bonne note, être élue déléguée de classe), tout ça ne concourre-t-il pas à faire de nous des adultes en attente de validation / reconnaissance, tant dans nos vies pro que privées...
Après avoir partagé 2 décennies avec un homme qui assénait une critique acerbe à toutes mes réalisations de cuisine ou tentatives de bricolage, fussent-elles réussies (c'est-à-dire délicieuses ou sans que la peinture n'ait bavé), je crois que suis ceinture noire en flagellation mentale.
Et que dire du fait d'avoir été aussi blogueuse, avoir envoyé un manuscrit à des éditeurs pour finalement faire de l'auto-édition et désormais exposer mes dessins à la critique sur Instagram ?... Chercher l'amour et la validation de la Terre entière... Pourquoi ?!
Y'a sans doute un beau boulot de psy là-dessous qui commencera par venir lessiver les traces d'un amour paternel conditionné à mon apparence et ma réussite... Tu vois, j'ai déjà fait du chemin...
Et quand même, je n'arrive toujours pas à déterminer si les accord Toltèques sont une vraie philosophie de vie ou du bullshit en barres : "Toujours faire de son mieux" et "Ne rien prendre pour soi"... Cause toujours, tu m'intéresses.
Suis-je la seule a m'être dit "Amen" après avoir lu " des siècles et des siècle"?? :-)