Oubliez tout ce que je vous ai dit en début de séjour, finalement j’adore cette colo. On s’est fait des tonnes d’amis et on va sûrement se laisser nos numéros de téléphone. Ça va être extrêmement triste de se quitter dans trois jours, mais ça sera pour mieux se retrouver à Paris.
Oui bon, ou pas. C’est un peu comme les scarabées en plâtre peint qu’on veut tous acheter ici et qui une fois à Paris seront super moches sur les étagères.
Ce que je veux dire par là, c’est qu’il est des amitiés de vacances comme des bibelots du souk. C’est beau dans l’instant. Est-ce que c’est pour autant négligeable et moins important qu’une relation de long terme ? Je ne crois pas. Il compte, ce lien que l’on crée petit à petit, passant d’une observation à distance polie à des sourires un peu plus soutenus, puis à des échanges superficiels sur la grâce de Nefertari, femme chérie de Ramses II, pour se terminer par un repas partagé ou des confidences au coucher du soleil.
Il compte parce qu’il est détaché de toute obligation de performance, il n’existe que parce qu’il apporte une satisfaction mutuelle, il démultiplie le plaisir pris lors des visites ou des repas mais n’engage à rien. Il rassure, lorsqu’on est loin de chez soi. Pendant ces quelques jours, on a finalement plus de points communs avec les passagers de ce bateau qu’avec nos proches. On a, ensemble, senti notre coeur se serrer devant les peintures intactes des tombeaux de la Vallée des rois, on a été émus en même temps lorsque nous sommes arrivés dans celui de la fameuse Nefertari, joyau incroyable, preuve de l’amour démesuré que lui portait Ramsès II. On a ri comme des collégiens devant le sexe retrouvé d’Osiris et on a forcément éprouvé les mêmes affres de culpabilité lorsque nous traversions les villages sans eau ni électricité. Il ne restera sans doute pas grand chose de tout cela une fois que nous aurons débarqué. On se promettra peut-être de se rappeler, on souhaitera sans trop y croire se retrouver sur un autre périple. Mais on ne le fera pas. Parce que la vie, parce que la distance, parce que les différences.
Mais on se rappellera. De ce couple à la retraite qui marche souvent main dans la main et dont la femme, qui lorsqu’elle pense qu’on ne la voit pas, caresse tendrement les fesses de son compagnon. De cet ancien capitaine de bateau suisse intarissable sur les insectes qui cohabitent sur le lierre de son jardin. De celui qui avait le mal de mer mais qui voulait tellement faire plaisir à sa femme qu’il a accepté de venir mais ne se défait pas de ses bracelets anti-nauséeux, clamant, blême, que ça marche plutôt bien. Du bon élève du groupe, jamais loin d’Ali, buvant ses paroles quand les cancres du fond du bus finissent par décrocher, saturant de tous ces dieux à tête de belier et de ces dynasties de Ramsès ayant tous épousé des Cléopatre. Il faut le voir, plisser les yeux et avec un petit sourire gourmand, se délecter des anecdotes de notre guide passionné. On se souviendra de celle qui demandait à son mari de descendre en premier dans les tombes pour vérifier que ça n’est pas trop étroit, parce qu’elle est claustrophobe et qu’il sait, lui, ce qu’elle peut tolérer. Ou de celle qui avait envie de faire pipi toutes les heures, et qu’on s’est mis à prévenir spontanément dès qu’on voit des toilettes.
Et puis il y a les révélations qui se font, au détour d’un thé à la menthe. Ceux qu’on croyait mariés depuis trente ans sont en réalité de jeunes amoureux, unis dans des circonstances romanesques et tragiques que je ne raconterai pas ici parce que ça ne m’appartient pas. (Et que j’ai quand même un peu peur qu’un de ces quatre un de mes nouveaux amis tombe sur ma newsletter et trouve ça moyennement sympa d’être comparé à un scarabée made in china).
Finalement, tout n’est qu’histoires qu’on se raconte et qui sont souvent bien plus étonnantes que celles qu’on s’était imaginées. Je crois que si les tombes de la Vallée des Rois et des Reines visitées hier étaient parmi les plus belles choses jamais vues, elles font jeu égal avec ça, l’impressionnant et fascinant besoin que nous avons, de « faire société ». Bien sûr, vous me direz, c’est facile quand rien d’autre n’est en jeu que de jouir ensemble d’un séjour merveilleux. Mais si c’était mes premières vacances organisées, j’ai souvent expérimenté cela lors de voyages de presse ou autres circonstances similaires. A chaque fois, le même processus se met en place. Méfiance, réserve, apprivoisement et bam, je me retrouve avec de l’antimoustique déposé devant ma porte par ma voisine de chambre qui m’a entendu me plaindre de me faire bouffer par ces batards du Nil.
C’est fou qu’on s’entretue à ce point partout alors qu’on a tant besoin d’être aimés, non ?
Voilà, à part ça je crois que pour les Egyptiens je ressemble beaucoup à Catherine Deneuve. Sinon je ne vois pas du tout pourquoi le gardien d’une des tombes ce matin m’aurait accueillie avec un strident « How are you Bernadette ? ».
A l’heure qu’il est, après avoir ri bien trop bruyamment pendant deux heures, le churros cherche toujours la sortie du tombeau de Toutankhamon. C’est dommage, j’étais pourtant sûre qu’il était dans le bus quand Ali a demandé si on était tous là.
Allez, salam.
Oh cette chute !!!!! J'en pleure de rire
Mais quel bonheur de te lire quotidiennement ! Je suis en admiration totale pour ton écriture aussi élégante que drôle.
Merci !