Déjà toutes mes excuses pour cet air qui désormais colonise votre cerveau.
Avec B, on s’est rencontrées en CM1. Puis nous avons connu P., X et M en 1ère. B et moi n’étions pas à proprement parler les populaires du lycée. On était même carrément l’inverse, surtout moi d’ailleurs, parce qu’en plus d’être habillée en Tex versus Agnès B (le graal absolu de l’époque dans cet établissement très chic du centre de Lyon), j’étais déjà en surpoids et - très - mal dans ma peau.
Mais après une année de purgatoire en seconde, où j’avais subi les moqueries - on parlerait sûrement de harcèlement aujourd’hui - de quelques camarades, j’ai décidé de prendre le taureau par les cornes en ce premier jour de 1ère. Et lorsque j’ai croisé le regard de P et X, beaux gosses à l’air plus sympa que la moyenne, j’ai prévenu B. On allait pas se retaper une année de merde et ces deux là allaient devenir nos amis.
Comment ?
J’aimerais vous dire que c’est mon esprit affuté et mon charme de timide qui les a embarqués, mais la vérité est un peu moins glamour. Je les ai tout simplement achetés à coup de Peter Stuyvesand vertes, longues, paquet cartonné, merci.
Est-ce que trente-cinq ans plus tard, je trouve ça malin d’avoir sans doute planté la graine d’un potentiel cancer du poumon dans le but de me faire des amis ? Mmmh… et bien c’est moche mais je crois que ça valait le coup.
Toujours est-il que toutes ces clopes offertes à la récré (oui je vous parle d’un temps où il était autorisé de fumer dans la cour) ont brisé la glace et qu’assez rapidement, nous sommes devenus inséparables. Enfin surtout B et P, qui se sont roulé des pelles dans mon salon lors de la première fête que j’ai organisée (ça faisait aussi partie de mon plan) (pas que ces deux là se chopent mais de faire des fêtes). Avec X, c’est parti sur une amitié (est-ce que ça faisait partie de mon plan ? Non. Mais faute de galoches, on s’est pris des cuites). Ils nous ont présenté M, aka la plus belle fille du quartier, qu’on a immédiatement détestée avant même de la rencontrer (B. et moi n’étions pas prêtes à perdre ce que nous venions chèrement d’obtenir) et que nous n’avons pas eu d’autre choix que d’aimer après deux heures passées ensemble. Belle et sympa, dieu a décidément ses préférées.
Petit à petit, une bande s’est formée, à laquelle se sont ajoutés d’autres joyeux drilles. Je suis tombée amoureuse d’à peu près tous les garçons, sans aucune réciprocité, mais à l’arrivée, j’étais quasiment populaire.
Les années ont passé, M. et moi sommes parties faire nos études à Grenoble puis à Paris, nous avons continué de nous voir. Avec B. nous n’avons jamais loupé un anniversaire de l’une ou de l’autre et s’il y eut des périodes où notre relation se résumait à ces deux coups de téléphone par an, le lien a résisté au temps et aux orages. Elle et P. se sont mariés (oui, ces histoires existent), nos enfants sont arrivés à peu près en même temps. La bande n’existait plus vraiment, mais les souvenirs étaient là, comme de douillets édredons lorsque parfois la vie était moins radieuse.
Et puis il y a cinq ou six ans, B. a eu l’idée merveilleuse d’organiser un noël des copains, la veille du 24, en cette période où nous étions tous rentrés au bercail lyonnais. La tradition s’est installée et à chaque fois, alors même que nous n’avions plus aucun quotidien ensemble, la magie a opéré. Jusqu’à celui de l’année dernière, où nous avons émis l’idée de partir une semaine, sans enfants et sans conjoints (enfin surtout pour X et moi vu que P et B sont à la fois dans la bande ET mariés) (vous suivez ?). Des vacances d’ados, comme quand on avait 17 ans. A Kiffos, l’île dans laquelle M. a acheté une maison il y a plus de vingt ans. (non, je ne donnerai pas le nom réel de cette île, M. croit encore pouvoir endiguer le surtourisme qui la submerge et je la crois assez sérieuse quand elle me menace des pires sévices si j’en fais davantage la publicité).
On aurait pu en rester là, ces plans sur la comète, on les connait, on en fait tous, après trois verres tout ce qui implique de retrouver un peu du goût de notre enfance semble merveilleux et possible. Jusqu’au lendemain où ça fait pshiiit, parce que c’était bien sûr une bonne idée, mais c’est compliqué, dans la vraie vie.
Sauf que le 2 janvier, en proie à ma traditionnelle dépression post festivités de fin d’année, j’ai créé un groupe WhatsApp et je leur ai demandé si c’était que de la gueule ou si on allait vraiment le faire, bordel ?!
En cinq minutes, tout le monde avait répondu. Deux heures après, les billets d’avion étaient réservés et la maison, une bergerie - qui se révélerait à la limite de l’insalubrité - perdue dans la montagne, louée.
On allait le faire. Je rends grâce au churros qui en plus de ne pas avoir suffisamment de vacances pour se joindre à nous, a non seulement compris que c’était un projet de vieux potes mais m’a encouragée à y aller lorsque la culpabilité commençait à me rattraper.
Et le mois de juillet est arrivé. En montant dans mon avion, à quelques heures de les retrouver à Athènes, j’étais partagée entre l’excitation de cette parenthèse qui s’offrait à moi et la crainte que ce soit plus joli sur le papier qu’en vrai.
Et si nous n’avions finalement pas plus à nous raconter que nos faits d’armes d’il y a trente ans ? Et si nous étions trop différents pour nous supporter pendant une semaine ? Et si je me rachetais un paquet de Peter Stuyvesand, au cas où ?
Dans le taxi qui m’emmenait à l’hôtel, tout s’est allégé. J’avais quatre ou cinq heures à tuer seule avant qu’ils arrivent, j’ai posé ma valise dans le lobby et je suis partie dans la brûlante et vibrante Athènes. Ce café pris sur cette petite place incandescente sera sans doute le meilleur de ma vie. Je n’avais pas ressenti un tel sentiment de liberté depuis bien longtemps. Soudain, je n’étais plus ni mère, ni épouse, ni scénariste, j’étais juste une ado de 17 ans, qui savourait cet avant, celui plein de promesses à venir, de rires idiots et de verres qui s’entrechoquent.
Et puis ils sont arrivés, un sourire jusqu’aux oreilles, manifestement aussi heureux que moi. Et le ton a été donné dès la première bière, alors que nous dégoulinions en ce jour de canicule grecque. On a repris la conversation là où nous l’avions laissée il y a tant d’années. Est-ce que nous sommes les mêmes qu’alors ? Non. Est-ce que nous sommes d’accord sur tout ? Non plus. Est-ce que nos vies se ressemblent ? Pas vraiment. Mais apparemment, ce qui s’est joué alors que nous entrions dans cet âge des possibles a laissé une empreinte indélébile. La question n’est pas de savoir pourquoi on s’aime, on s’aime, c’est tout. On s’aime parce qu’on a ri jusqu’à en faire pipi dans notre culotte dans une ruelle à New-York à 16 ans avec B., parce qu’on a “révisé” le français ensemble avec X. dans sa maison de campagne, parce qu’on a cherché P. une nuit entière dans Lyon parce qu’il avait raté son bac, parce qu’on a enterré E. que nous aimions tous si fort, parce que nous avons dansé un millier de fois sur Tainted Love, parce que nous avons fait des strip poker où B et moi perdions systématiquement (à croire qu’on le faisait exprès) (on le niera jusqu’à notre dernier souffle), parce qu’un soir j’ai bu du liquide vaisselle en pensant que c’était du Jet 27, parce qu’on a arpenté l’arrière pays montpelliérain dans une estafette dans des états qui auraient dû nous valoir quelques heures au poste, parce qu’on s’est perdus de vue et qu’on s’est retrouvés.
On s’aime parce que pendant cette semaine, on a finalement très peu parlé du passé, on était trop occupés à se fabriquer de nouveaux souvenirs, pour ne pas être condamnés à ressasser uniquement les anciens. Quand nous sommes arrivés à Kiffos, après avoir voulu mourir lorsque nous avons compris, B. et moi, que les “quelques marches jusqu’à la maison” étaient en réalité un chemin de croix de vingt minutes en plein cagnard que nous étions condamnées à gravir deux à trois fois par jour, “alors que je vous ferais dire qu’on a la ménopause”, gémissait B., nous nous sommes posés sur la plage, le cul dans l’eau, une bière glacée à la main et nous avons souri. On l’avait vraiment fait et ça s’annonçait plutôt bien.
Le reste n’est pas très intéressant, la semaine est passée à la vitesse de l’éclair, on a monté énormément de marches, bu à peu près autant de bière, avalé des litres de tzatziki et de tarama, ri à en pleurer en rentrant le soir, fait pipi derrière des voitures et projeté d’acheter une maison tous ensemble.
Et puis la parenthèse s’est refermée, nous avons retrouvé nos vies, je suis redevenue une mère, une épouse, une scénariste. Nous étions tristes bien sûr, que ce soit terminé, mais riches de ces quelques jours, de cette certitude désormais que le temps ne pouvait rien contre cette amitié née sur les bancs de l’école. Est-ce qu’on recommencera ? Peut-être, peut-être pas. L’avenir nous le dira. Mais si je vous le raconte ici, c’est pour vous dire ça, qu’on peut décider, parfois, de retrouver nos 17 ans. Et que ça fait un bien fou.
Un pur bonheur de te lire, beaucoup d’émotions partagées et quel talent d’écriture ❤️
pffffff.... j'en ai les larmes aux yeux, mais bon, j'te ferais dire que j'ai la ménopause, alors !