Il y a eu les premiers jours, les meilleurs, ceux où on s’invente que la fin n’arrivera jamais, ceux des plans sur la comète, les randonnées qu’on pourrait faire, les visites qu’on planifie “pour la deuxième semaine”, les recettes qu’on prévoit, “j’ai pensé à prendre de la levure de boulanger, je vous ferai des roulés à la cannelle” (quelle excellente idée par 42°), les programmes sportifs qu’on fantasme, “si je fais une longueur de plus chaque jour, je peux arriver au kilomètre à la fin des vacances”, les crèmes solaires encore à peine entamées, qu’on économise un peu parce que mine de rien, on reste longtemps, personne ne touche à celle-là, c’est pour ma lucite. Les cartes postales qu’on achètera plus tard, mais cette fois-ci on les poste pas de France, ok ? Les premiers coups de soleil, le corps qui peine un peu à s’habituer à la chaleur, le chemin jusqu’à la maison qu’on a du mal à mémoriser, la pierre qu’on se prend à tous les coups et qui va nous coûter la caution, c’est sûr putain. Toutes ces plages qu’on imagine, mais en attendant, on retourne à celle d’hier parce qu’il n’y avait personne. Les étoiles filantes qu’on observera une nuit, même qu’on pourrait carrément dormir sur le toit, à la belle, et se réveiller avec le lever du soleil. Demain. Ou après demain. Les livres, qu’on a pris par dizaines, responsables à eux seuls d’une pauvreté stylistique tout le séjour, qu’on s’échine à déguster lentement parce que là aussi, on se dit qu’on a le temps et qu’on ne voudrait pas se retrouver à sec la dernière semaine. Et quand on prononce “la dernière semaine”, on a vraiment la sensation d’évoquer un temps lointain, très lointain, où nous ne nous ressemblerons plus tellement puisque d’ici là on y sera arrivés au kilomètre de nage quotidien.
Il y a eu ces premiers jours et puis dans un souffle, l’avant-dernier. Et les comptes n’étaient pas bons. Il restait encore des livres, un tube presque entier de crème solaire - vas-y, c’est bon, tu peux prendre la mienne - , des randonnées abandonnées à la faveur d’un transat gratuit sur une plage déserte, celle qu’on a finalement adoptée. Il restait au fond de mon sac le sachet de levure de boulanger parce que pourquoi manger des roulés à la cannelle quand on vit au pays des figues tièdes qui croulent sur les arbres du jardin ? Il restait des tavernes à essayer, des rochers desquels sauter, de la fêta dans sa boite format familial, des voeux à faire au passage de comètes qu’on a finalement oublié de regarder, des engueulades même pas commencées parce qu’on était certains d’avoir encore le temps, du coup bah vu que demain on s’en va, on se mettrait pas un peu sur la gueule là, tout de suite, histoire que l’avant dernier jour soit bien flingué, vu que de toute façon, qui profite vraiment de l’avant dernier jour ?
Et puis on est rentrés, avec la sensation d’être arrivés la veille. Le bonheur n’est pas très intéressant, il ne se raconte pas, c’est tout juste s’il se fait remarquer. Il a le pouvoir d’accélérer le temps, ce con, en plus.
Trois semaines passées plus vite que les quinze stations d’un métro surchauffé le lundi qui a suivi. Trois semaines pendant lesquelles de grandes décisions ont été prises et qui ne résisteront sans doute pas à l’épreuve du retour. Trois semaines à poil ou presque, à observer la progression du bronzage, à prononcer ce “yassas” un peu trainant, qui veut dire bonjour, au-revoir, salut et à bientôt, en s’inventant que ça y’est, le grec, ça rentre finalement. Trois semaines de privilégiés, enveloppés dans la douceur de cette île qui révèle chaque année de nouveaux secrets. La chance d’avoir été encore une fois tous les cinq, un trophée de plus dans l’histoire familiale, des phrases qu’on se rappellera l’année prochaine ou celles d’après, “c’était en 2023, non, la fois où papa a gueulé, parce que personne n’avait faim à 12h18, “ah donc ça y’est, on mange plus, c’est terminé ?” “ouais, c’est ça, l’année où maman a décrété qu’elle avait du diabète. Rappelle toi, elle a rien bouffé de l’été et elle nous a bien fait chier”.
Bref, c’est la rentrée. J’espère que vous aussi, vous vous êtes engueulés pour des conneries, que vous avez regardé les agences immobilières pour repérer une maison que vous n’achèterez jamais, que vous avez fait une overdose de salades de tomates, que vous avez écouté très fort du Céline Dion en voiture, toutes fenêtres ouvertes, pesté contre les moustiques, fait des masques de biafine, bu des bières locales ou lu des livres pas toujours excellents mais à l’ombre d’un arbre, sur un transat, quel livre ne l’est pas, en réalité ? En attendant, c’est reparti pour un tour, venez, on fait en sorte que le reste de l’année aussi, ait de temps en temps un goût de figue tiède et trop sucrée.
On est parti en Grèce avec de la levure de boulanger ? C’est pour ça qu’on a dû prendre un bagage en soute ?
Love it! Tellement ça…
Mais je peux te décrire les vacances dans 10 ans, les mêmes en fait, sauf que tu ne t’engueules plus parce que tu ris (voire même tu t’attendris) de tes travers attendus et de ceux de l’autre, et puis la maison, ptêt bien que tu l’achètes en fait (mais si, regarde ils sont tous partis on n’a plus besoin d’aussi grand à Paris et avec l’argent de la vente… Et puis ça ferait une petite maison de famille où venir avec leurs enfants). Et là tu repars pour des projets, de financement (mais va falloir qu’on travaille encore combien de temps ?), de déco (et là tu te réengueules (mais c’est tellement vivant)), bref la vie continue… ;-)