La semaine dernière, alors que je me réjouissais à la perspective des Césars, le churros (mon époux pour ceux qui me suivent depuis peu) a soupiré, ça ne l’enchantait pas, jugeant ces cérémonies chiantes et trop longues. Il se serait arrêté là, je n’aurais pas trouvé grand chose à redire. Mais emporté par son élan, il a ajouté, en pleine confiance, “C’est pour les robes que tu regardes.”
Vous l’entendez le silence pesant qui a suivi ses mots ? Même mon fils qui généralement soutient son père s’est désolidarisé et d’une voix blanche l’a prévenu: “je peux rien pour toi, là”. Rose et moi on s’est regardées pour savoir qui de nous deux dégainerait la première.
“Pour les robes”.
Déjà, il faut que vous sachiez que depuis le premier confinement, je n’ai pas encore totalement réussi à enfiler quoi que ce soit doté d’un bouton ou qui n’ait pas dans sa composition le mot “stretch”. Après trois mois d’abandon total de toute velléité de style, j’ai eu une sorte d’épiphanie. Pourquoi s’imposer des tenues qui entravent quand on peut être en en legging ? Autant vous dire que les robes, je m’en contrecarre, qu’elles soient sur moi ou sur Marion Cotillard.
Vous allez penser que je me vexe pour pas grand chose et vous n’aurez pas tort. En vrai, je l’ai rembarré, il savait qu’il n’avait aucune chance et qu’il avait perdu une occasion de se taire, il s’est vaguement excusé en invoquant une blague et on n’en a pas reparlé. Un micro événement dont il ne se souvient sans doute pas et dont notre couple se relèvera, pas de panique. (Et ça n’est pas parce que plus personne n’a entendu parler de lui depuis qu’il faut commencer à se raconter des histoires) (bien sûr que ce trou était déjà dans mon jardin).
N’empêche que mine de rien, ça a fait son chemin. “Pour les robes”, putain. C’est pas comme si j’exerçais le métier de scénariste et comme si depuis l’âge de 8 ans environ mon discours “au cas où” était prêt. (le nombre de fois où en pensée je suis percluse de culpabilité d’avoir oublié de remercier mes parents ou mon mari…) (m’est avis qu’en ce qui concerne ce dernier je serai désormais un peu moins rongée de remords si ça arrivait).
Et si je sais pertinemment qu’il n’y avait pas de malice dans cette réflexion (mais on ne le saura peut-être jamais) (puisque que je vous dis qu’il est en voyage d’affaires !), c’est malgré tout très représentatif d’un certain patriarcat inconscient. Ramener une femme à ce qu’elle est censée aimer depuis toute petite, à savoir les robes de princesse. Bien sûr que je regarde les tenues des actrices, que je commente la nouvelle bouche d’une telle, la probable grossesse d’une autre ou la beauté insolente de Virginie Efira. Mais très franchement, ce qui m’importait vendredi, c’était que Bouli Lanners ait une récompense parce qu’il me bouleverse à chacun de ses rôles. Je rêvais aussi que Fanny Ardant ait un César pour “Les jeunes amants” parce que ce film m’a transpercé le coeur. J’attendais également les protestations des gagnantes au sujet de l’absence de réalisatrices parmi les nommés, alors même que 2022 était un cru exceptionnel d’oeuvres signées par des femmes. Bref, non, ça n’était pas que pour les robes.
C’était aussi pour critiquer, souffler que c’est trop long, regretter Foresti, moquer la pseudo famille du cinéma, râler contre ces nantis contents d’eux qui se regardent le nombril. Et applaudir les quelques instants de grâce. Le discours d’Alice Diop, “on n’est pas que de passage”, le César de la meilleure musique pour la première fois donné à une femme, les mots de Virginie Efira. L’humour merveilleux de Jérôme Commandeur. Oui bon, et puis Brad Pitt. Pas en robe mais tout en yeux d’acier et mâchoire carrée. Comme le dit Gad Elmaleh, Brad Pitt tu le regardes pas, tu le visites.
Tout ça aurait été plutôt pas mal s’il n’y avait pas eu, au bout d’une petite heure à peine de cérémonie, cette coupure à la suite de l’intrusion d’une militante écolo dont le tee-shirt annonçait qu’il ne reste que quelques centaines de jours avant que la machine infernale du réchauffement climatique soit irrémédiablement lancée.
Soudain, quand l’écran est devenu noir, tout a semblé vain. Bien sûr qu’écouter cette jeune femme expliquer son geste n’aurait pas fait revenir la pluie absente depuis plus d’un mois en France. Mais déjà qu’exercer ce métier me donne souvent l’impression d’être un musicien sur le Titanic, là on y était. Surtout ne regardons pas. Don’t look up comme titrait ce film prophétique de Netflix. N’essayons pas de sortir de notre déni collectif, préférons remettre la tête dans le sable et célébrer ensuite, avec un décalage et une hypocrisie sans nom la liberté de créer à la française.
Je ne suis pas une très bonne élève du climat. Je n’ai pas de leçons à donner, je n’aime pas spécialement en recevoir. Mais comment espérer que la fracture avec les jeunes générations cesse de se creuser si on persiste à les museler ? Comment ensuite défendre une protestation pacifique si les lanceurs d’alerte sont expulsés d’une scène qu’ils avaient investie calmement ? J’ai toujours été de la gauche “molle”, social- démocrate, allergique aux extrêmes et aux méthodes radicales. Mais force est de constater qu’en matière de droits des minorités, de lutte environnementale ou sociale, la sensation de piétinement est telle que je commence à douter de l’efficacité des revendications polies. Voilà c’est tout et c’est comme d’habitude bien décousu. Je vous laisse j’ai un arbre à planter à un certain endroit du jardin.
Oui, c'est bizarre, je me suis réveillé dans un trou dans le jardin
Fou rire et réflexion dans un même post, pas de doute : you are back et qu’est ce que c’est bon 🙂 merci !