La journée avait bien commencé. Il faisait beau - en soi une source de joie, je ne suis plus très difficile compte-tenu de la piscine de merde dans laquelle on nage depuis trois semaines - et j’avais retrouvé au fond de mon armoire une petite robe portefeuille qui ne laissait aucun mystère à mon anatomie il y a encore quelques mois et qui désormais me permettait de sortir de chez moi sans risquer l’attentat à la pudeur.
(photo qui a son importance pour donner plus de saveur à celle qui clôt cette newsletter) (mais qui est évidemment aussi une preuve s’il en fallait de mon narcissisme)
Mieux, après l’avoir testée pour faire une ou deux courses, j’ai eu l’agréable surprise de constater que mes cuisses ne frottaient presque plus et que je n’avais pas besoin de m’enduire de corps gras pour survivre à 1/2h de marche.
Bref, la journée avait pas mal commencé et c’était tant mieux vu que j’avais, à 16h, un rendez-vous assez important à TF1, dans la fameuse tour idéalement placée (non) à Boulogne.
Petite robe portefeuille, check. Cuisses intactes, check. Ne restait que la question des chaussures. Passant des UGG aux Birks depuis des années, mes pieds en forme de lego ont aujourd’hui du mal à s’accommoder de quoi que ce soit qui les contraint ou les cambre. Mais quand j’ai testé auprès de ma fille le combo robe / Birkenstock, elle a été sans appel. “Là sorry mais tu vas à la plage”. Me voilà donc en train de sortir mes trois paires de sandales à talons, dont aucune ne me garantissait de ne pas mourir des pieds. La première, neuve et achetée à Monop (celle de la photo), n’était pas compensée et surtout jamais utilisée. Je ne suis pas un perdreau de l’année (vraiment pas), je SAIS qu’on ne met pas des chaussures neuves pour marcher dans Paris sans possibilité de repli et alors qu’on se doit d’être à l’heure et confort pour un rendez-vous déterminant. La deuxième me fait des ampoules au bout de trois minutes. La troisième en revanche, pas mal portée, est à peu près confortable en dépit de la hauteur de sa semelle compensée (une dizaine de centimètres). Après avoir hésité pendant une bonne matinée (ma vie est trépidante), j’opte donc pour mes vieilles potes, pas les plus jolies mais des meufs sûres.
Quand je sors dans ma rue, j’ai une sorte de premier pressentiment. Une légère sensation désagréable, que je mets sur le compte de la chaleur (rendez-nous l’hiver en fait). Mes pieds semblent un peu lourds, la chaussure avoir sa vie propre. Je m’arrête, encore assez proche de chez moi et réfléchis à la pertinence de faire demi-tour pour à minima glisser une paire de birks dans mon sac. J’aimerais vous dire que j’y ai renoncé par conviction et foi dans ma destinée, mais la vérité c’est que j’ai eu la flemme.
Me voilà dans le métro, et toujours armée de ma capacité à faire les bons choix, je décide, plutôt que de me taper deux changements, de prendre le tram à Porte d’Italie, qui m’arrêtera au Pont du Garigliano (qui fait, je le sais désormais, environ 56 kilomètres de long) et à partir duquel j’ai vingt minutes de marche pour rejoindre TF1. Autant vous dire une peccadille pour la sportive que je suis devenue. Dans ma tête, c’était ce genre de pensées: “là tu vois ma grande, t’as changé. Y’a un an, t’aurais pris un Uber. Ou prétendu avoir le covid pour faire un zoom. Y’a six mois, t’aurais choisi les deux changements et tu serais en Birk. Alors que là, bah t’es puissante. T’as des talons de 10 et tu vas faire la moitié de ton trajet à pied par 35°. J’ose ? Allez j’ose. Je suis fière de moi. Je me kiffe. Je vais écrire un livre. Sur la renaissance à 50 ans. (mon surmoi: 53, pauvre conne) (mon melon: ta gueule).”
Bref, le tram se révèle être une idée assez moyenne, n’étant pas climatisé et baigné de soleil, ma robe commence à coller, ma terracota à fondre et mon surmoi à bien se marrer. (“la toi de y’a deux ans était moins débile” - mon melon: “ta gueule”)
Me voilà au Pont du Garigliano, que je commence à emprunter, avec quand même moins d’allant que prévu, compte-tenu qu’il y faisait 65° et que le bitume avait l’air de coller à mes semelles.
Il n’en avait pas l’air.
Soudainement, ma chaussure droite m’a semblé plus légère.
Elle l’était.
Vu que la plateforme en corde venait de se désolidariser du reste.
Bon gros fou rire de mon surmoi se roulant par terre sur le Garigliano.
Mais il en fallait plus pour ébranler la confiance qui m’anime actuellement. Positive, je me dis que certes ça va être compliqué, mais à cloche pieds sur deux kilomètres, ça peut le faire vu que maintenant je suis gaulée (le pouvoir des endorphines) (“de ta connerie surtout”) (“ta gueule”)
Ce bel enthousiasme a duré très exactement trente secondes.
Le temps qu’il a fallu à ma deuxième sandale pour me dire d’aller me faire cuire le cul.
A QUEL MOMENT CES PUTAINS DE GODASSES QUI ONT SUPPORTÉ VINGT-CINQ KILOS DE PLUS PENDANT DES ANNÉES ONT DÉCIDÉ DE SE SUICIDER À 15H12 AU BEAU MILIEU DE LA SEINE ?
Je ne saurai jamais si c’est un coup du karma ou juste l’effet de la chaleur, mais le fait est que je me suis donc retrouvée à 2km de mon lieu de rendez-vous et à 25 minutes de l’heure à laquelle j’étais censée arriver (merci ma névrose de la ponctualité)… Pieds nus.
Pieds nus sur le pont du Garigliano.
Où il n’y a donc, au cas où vous auriez un doute, aucune boutique vendant des chaussures.
Me voilà donc l’air ultra détaché, mes sandales à la main, en train de traverser cette aberration architecturale, qui est d’une longueur dépassant l’entendement.
Mais le pire m’attendait, puisqu’une fois de l’autre côté de la Seine, il me restait l’équivalent d’un Paris Marseille à parcourir, toujours pieds nus sur la pisse de chien et d’éventuels tessons de bouteille. J’ai aperçu un Monoprix dans la direction opposée de TF1, mais une fois encore, la partie droite de mon cerveau (je suis gauchère, ceci explique peut-être cela ?) a trouvé que ça puait la défaite de renoncer à ma ponctualité et m’a convaincue que j’en trouverais un sur le chemin.
Spoiler alert: il n’y en avait pas.
Je vous épargne mes arrêts dans deux pharmacies pour tenter de dénicher une paire de Scholl (oui j’en étais là) (c’est à dire que même des chaussures de ski je prenais à ce stade) (apparemment les gens du 16ème n’ont pas d’algus valgus, zéro Scholls à la ronde) puis dans un minuscule magasin de fringues made in china qui n’avait qu’une paire de baskets en taille 46.
“T’as eu raison pour Monop, joli mouv, la demeurée” - Décès de mon surmoi par étranglement.
J’ai fini, après avoir perdu la moitié de ma voute plantaire sur une partie tout juste goudronnée du trottoir, par trouver une boutique vendant des arrosoirs, des faux cactus ainsi que d’authentiques ceintures Dior. Où j’ai acheté pour la modique somme de 69 euros, des mocassins en cuir véritable siglés Ralph Lauren. Laissez moi croire que ce sont des vrais, même si je suis quand même étonnée qu’on ait laissé passer le coloris “chiasse de pigeon” chez Ralph.
Bref, croyez-moi ou pas, je suis arrivée à l’heure à TF1.
Avec des pantoufles pas vraiment assorties à ma robe, mon mascara qui avait coulé jusqu’aux seins et mes pieds décomposés. Mais bon, j’avais des chaussures. Ce qui n’était pas gagné.
Allez, cadeau. (réaction de ma fille aînée quand je lui ai envoyé la photo: tu pourras les mettre avec ta casquette Hyundai) (ref pour ceux qui m’ont suivie à Lanzarote.
Hahaha!!
Je ris parce que ça m est arrivée il y a quelques années quand je partais en direction de mon collège…
Ma sandale droite s est désolidarisée ( ce putain d entre pouce!) qui une fois barré te met dans l impossibilité de faire même bonne figure… à moins de traîner ton pied comme une jambe morte pour garder ta semelle en contact de ta voute plantaire….
Évidemment dans une zone REP…. Sans commerces… surtout à 7h28…
J ai fini la journée ( enfin j ai fait toute la journée ! ) avec des chaussures de sécurité/hygiene du personnel de cantine en taille 43 pour mon 39… blanche de toute beauté….
Je pense que mes élèves se marrent encore! « ouech madame! Vous nous faites des frites à midi?? » ……
Bref, depuis j ai dans mon casier TOUJOURS une paire de vieilles Birk! Et comme la mode accepte les chaussettes dedans, je me dis que ça sera tjrs moins pire que les pompes d Alain. Cuisinier aux grands pieds.
😂
Merci pour le fou rire! Ça m’arrive tellement souvent d’avoir ce genre de dialogue intérieur, à moi aussi !