Il y a quelques semaines, je me suis retrouvée de manière un peu surprenante sur un groupe WhatsApp créé par une ancienne connaissance, que je ne pourrais pas qualifier d’amie parce que nous nous étions perdues de vue depuis notre emménagement au delà du périph. Nous nous connaissions de l’école des enfants, elle était de ces mères ultra investies, politiquement et socialement. Une figure du quartier, qui avait toujours le temps de s’arrêter cinq minutes pour échanger, sur la dernière boulette du président d’alors, le nouveau café de l’avenue qui valait le coup ou la bronchite de votre petite dernière. Nous avions des rapports cordiaux, un peu plus que ça, se croiser quotidiennement et partager globalement les mêmes valeurs sont des accélérateurs relationnels. Nous nous croisions parfois à un apéro en terrasse, nous connaissions nos conjoints et allions chez les mêmes maraichers, nous allongions dans le même parc le dimanche lorsqu’il faisait trop chaud pour rester dans nos appartements avec nos ribambelles de gamins.
Et puis la vie, un déménagement, les enfants qui grandissent et ne fréquentent plus les mêmes écoles. Un like par ci, un commentaire par là, un changement de travail qu’on applaudit, des voeux de bonne année. Et puis une photo qui surgit sur Facebook, des traits qu’on trouve un peu plus tirés qu’avant, un ruban rose qui s’invite sur une publication. J’ai compris qu’elle traversait quelque chose de difficile, je lui ai envoyé un message, auquel elle m’a répondu de manière pudique de profiter des miens.
Et il y a quelques semaines, donc, ce groupe WhatsApp. Je ne m’étendrais pas beaucoup parce qu’il est bien possible que certains qui en faisaient partie me lisent ici et que tout ça ne m’appartient pas, mais elle nous avait donc rassemblés, ses très proches et ceux qui un jour avaient compté, un peu ou beaucoup, pour nous dire que c’était la fin. Durant quelques jours, deux semaines tout au plus, elle a partagé ses pensées, sur ce passage qu’elle empruntait et que nous emprunterions tous. Embrumée par la morphine, elle gardait cette même simplicité que dans mes souvenirs, un refus de pathos ou d’auto-apitoiement, tout en restant sans fards sur ce qu’elle endurait.
Certains sur le groupe se sont excusés, ils n’y arrivaient pas, c’était trop difficile. Mais la majorité est restée à lui répondre quand elle nous écrivait, à envoyer qui une musique, qui une photo d’un bonheur passé, souvent juste un coeur, parce que les mots manquent, en réalité, dans ces moments là. Je connaissais quelques participants, pas beaucoup et de la même manière que je la connaissais elle. Nous nous étions fréquentés et appréciés, nous nous étions éloignés sans drame et sans bruit. Mais durant ces jours et ces nuits, un fil nous reliait tous, nous la veillions ensemble. Les insomniaques répondaient en pleine nuit, les matinaux prenaient des nouvelles.
Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça, enfin si, je sais, mais je ne sais toujours pas vraiment pourquoi cet épisode m’a autant marquée et peut-être vraiment transformée. Alors que nous n’étions pas vraiment amies, en dépit d’une affection sincère, elle m’a je crois fait un inestimable cadeau, sans le savoir sans doute. Nous laisser une place auprès d’elle alors qu’elle faisait ce dernier voyage, nous offrir ses pensées, même les plus anodines, m’a permis je crois de faire un peu la paix avec cette peur panique de la fin qui ne me quitte pas depuis que je suis en âge d’être consciente justement de cette finitude.
Sur ce groupe WhatsApp, j’ai vu l’humanité. La vraie, la crue, celle du corps qui lâche de toutes parts, la douleur, à peine suggérée mais il n’en fallait pas plus pour la deviner, le nécessaire abandon dans les derniers instants, si difficile à accepter. Les bijoux qu’on ne pourra finalement pas trier, ces photos qu’on laisse en vrac dans un tiroir, à regrets. Je ne sais pas vraiment comment l’exprimer, mais lorsque ce fut terminé, je me suis sentie investie d’une responsabilité. Honorer ce qu’elle nous avait offert. Ce rappel de la brièveté de l’existence. Le fait que lorsque l’issue inéluctable approche, ce qui compte reste l’amour uniquement. Celui qu’on a reçu, qu’on a donné.
Je crois qu’elle est partie en paix avec ça, sûre d’avoir aimé bien et d’être aimée. Pleine de ces rires et de ces fêtes que chacun rappelait à tour de rôle. Trop tôt, trop jeune, mais il me semble, sans remords ni regrets.
Je pense souvent à elle désormais, j’ai pleuré de joie pour elle lors des résultats du deuxième tour parce qu’elle s’est en allée juste après le premier et qu’elle avait eu la force encore de s’indigner des résultats du RN.
Je pense plus à elle que de son vivant parce qu’encore une fois, nous n’étions pas des amies. Mais par ce geste, en m’invitant sur ce groupe, elle m’oblige. A tenter de vivre plus légèrement et pleinement. A savourer tout ce qui doit l’être. A relativiser ce qui ne compte pas. En gros tout ce à quoi nous sommes certains de ne pas penser lorsque nos jours seront comptés.
En levant le voile sur ce qu’on s’escrime à ignorer ou à cacher, en nous ouvrant la porte de cette chambre, elle nous a je crois partagé le plus précieux des secrets. La vie est là, jusqu’au bout.
J’espère que cette newsletter ne vous aura pas plombés (c’est pas comme si nous avions besoin de pensées morbides en ce moment), je crois que je voulais la remercier à ma façon, et tenter de partager avec vous un peu de ce présent qu’elle nous a fait.
Je vous souhaite un bel été, enfin ce qu’il en reste. Pour ma part, je m’envole demain pour une semaine, retrouver mes plus vieux amis, ceux du lycée, pour une semaine où nous nous raconterons que nous avons toujours 17 ans, avant de prendre mes quartiers de vacances avec mon churros et les enfants. Il n’y a pas de hasard je crois, ce séjour a été décidé sur un coup de tête bien avant que surgisse cette notification WhatsApp, mais j’y vois une résonance.
Je vous embrasse.
Merci pour ce précieux partage. Il résonne forcément avec ce que je traverse. Une première annonce de cancer à 40 ans, une récidive un a plus tard. Aujourd’hui en rémission mais gardant les séquelles des traitements. La peur de ces derniers instants est aussi bien présente, on y est tellement peu exposé.
Je fais de plus en plus de choses, parce que ça me fait plaisir, que c’est le bon moment et que ça me permet de passer du temps avec les personnes qui comptent pour moi. Je suis aussi devenue une patiente engagée car c’est politique !
Bref, merci !
quelle merveille. merci pour ton partage caroline. nous vivons tellement mieux quand nous acceptons la mort, et les mourants parmi nous. gratitude.