La vie est un éternel mouvement de balancier. Pendant des années nous avons subi les injonctions aux bonnes résolutions dès le 25 décembre. Il fallait absolument avoir une liste longue comme le bras de tout ce qu’on allait mettre en place pour être nous mais en mieux dès le 1er janvier. Depuis l’avènement de cette nouvelle religion qu’est le développement personnel, il ne faut surtout plus en prendre, des résolutions. Et finalement cette injonction est aussi pénible que la première. Parce qu’après tout, chacun fait bien comme il peut pour se donner du courage, non ? Personnellement je ne vais pas vous mentir, la seule résolution qui effleure mon esprit depuis que je suis en âge d’en formuler, c’est évidemment de maigrir. Je n’en suis ni fière ni honteuse, je ne mets généralement absolument rien en place pour que ça se réalise et à bien y réfléchir on est davantage sur un souhait, un voeu, que sur une résolution. Et je peux désormais affirmer avec pas mal de certitude qu’en effet, ça ne fonctionne pas. Mais finalement peu importe, l’espoir fait vivre.
Lorsque nous étions à Venise, je me lamentais une fois de plus sur cette injustice terrible qui frappait comme la foudre certaines personnes - moi - et qui les faisait grossir alors qu’elles ne mangeaient rien. RIEN. Et qu’en plus, merci la ménopute, déjà que je brûlais dix fois moins que la moyenne, là c’est devenu une blague, mon métabolisme. C’est alors que j’ai vu passer dans les yeux de mon aînée un soupçon de désapprobation, qu’elle s’est bien gardé d’exprimer à voix haute (elle tient à la vie). Mais trop tard, je l’avais cramée. Après l’avoir harcelée - “bah dis le, quoi, tu trouves que je mange beaucoup ?” - elle a fini par me lâcher qu’en réalité, tout ça reste quand même très scientifique et que si je fais rentrer moins de calories que je n’en dépense, je vais forcément perdre du poids: “mais attention, moi je m’en balek, je te trouve parfaite, t’as pas du tout besoin de perdre, etc etc”. C’était attendrissant de la voir avancer comme un casque bleu sur un champ de mines antipersonnel, risquant à tout moment de perdre une jambe ou un bras.
Bref, comme elle s’intéresse à tout ce qui a trait au corps et à son fonctionnement - une année de médecine et des heures à dessiner des modèles vivants - elle a fini par me proposer (enfin plutôt par accepter après que je l’ai suppliée) de m’expliquer ses théories et même, si je le voulais, m’aider à déjeuner en paix. Genre à m’envoyer des menus, en me certifiant que je n’aurais pas l’impression de faire un régime, d’ailleurs ça ne serait pas un régime. J’ai rétorqué, sur la défensive, que si elle prononçait le mot “rééquilibrage alimentaire”, je la foutais au fond du grand canal. Non, m’a-t-elle répondu, c’est plutôt de stratégie alimentaire qu’il s’agissait.
C’est fou comme l’espace de quelques minutes j’ai entrevu la lumière. Stratégie alimentaire, ça m’a fait penser à Koh Lanta. J’allais bien le niquer mon métabolisme, avec mon côté stratège. Et instantanément, alors que depuis quelques années j’avais quand même bien mis derrière mois toute velléité d’amaigrissement - ce qui ne m’a pas empêché de grossir, donc en réalité, l’alimentation intuitive, Zermati et tutti quanti, hélas, ça ne fonctionne pas sur moi à long terme - instantanément, donc, je me suis vue, svelte et légère, ne soufflant plus comme une otarie en fin de vie après deux étages et n’ayant plus envie de trucider le monde entier au pied d’un escalator “en maintenance jusqu’au 03/06”. (oui, ça peut me rendre plus émotive que la guerre en Ukraine, un escalator en panne, ça vous donne une idée de l’étendue du problème).
Bref, la conversation n’a duré que quelques minutes en réalité et ensuite j’ai tiré sur le fil de la vanne tout le séjour, en évoquant ma future stratégie alimentaire qui du coup annulait forcément la glace à l’italienne que je venais de me prendre - oui, bon, ok, je ne mange pas RIEN.
Et aujourd’hui ? Bah on est le 9 janvier et j’ai pas reçu mes menus. Il faut dire que je ne lui ai pas envoyé ce qu’elle m’a demandé. A savoir pour commencer, mon poids. Il faudrait que je la tue ensuite, ce qui ne m’arrange pas totalement. Et que surtout, je ne l’ai pas relancée. Mais n’empêche, dans un coin de ma tête, j’ai cette porte de sortie. Si je veux, demain, je commence une nouvelle stratégie alimentaire. Et quelque part, ça me suffit pour commencer la nouvelle année. Appelez ça comme vous voudrez, une résolution, un souhait ou un voeu pieux. C’est ainsi que fonctionnent les personnes en surpoids (en tous cas moi). Dans un coin de leur tête existe un monde parallèle où elles sont minces. C’est leur paradis perdu, celui auquel parfois elles ont accédé d’ailleurs, mais dont elles ont été virées après quelques mois de “stabilisation” ratée. Peut-être que certain.e.s parviennent à ne jamais avoir envie d’y retourner, voire d’y aller pour la première fois. ça ne sera jamais mon cas, ne serait-ce que pour ne plus jamais, donc, avoir envie de chialer en bas d’un escalier.
Comme souvent je ne sais plus trop où je voulais en venir avec cette newsletter, en plus la saison des voeux est quasiment terminée. Même s’il reste encore trois jours pour que s’achève la première douzaine de janvier, celle qui est censée refléter le reste de ton année selon je ne sais pas quel gourou d’Instagram. On est pas dans la merde en ce qui me concerne. Pas certaine que la part de flan achetée uniquement dans un but d’investigation journalistique chez Bo&Mie hier - j’avais lu que c’était parmi les meilleures de Paris alors quand je suis passée devant, forcément - ait été très stratège sur ce coup là. En revanche je vous confirme qu’elle est entrée directement dans mon top trois.
Voilà, à part ça, renouons avec la tradition, je vous conseille de regarder “Une vraie famille” avec Mélanie Thierry, un petit bijou d’humanité, joué avec subtilité et retenue. J’ai adoré. J’ai également dévoré le Goncourt, “Vivre vite” de Brigitte Giraud, qui interroge le destin, le pourquoi d’un drame comme celui qui a frappé la vie de l’autrice et qui surtout, en creux, dessine un amour merveilleux, celui qui se devine dans les gestes du quotidien, dans les détails les plus infimes. En plus ça se passe à Lyon, donc forcément je m’y suis sentie un peu chez moi.
Bonne semaine.
J'aurais pu ecrire ce texte! Avec beaucoup moins de talent certes :) mais la fond serait le meme.
En surpoids depuis toujours ( merci le metabolisme lent et les SOPK) je me reconnais dans tout tes mots/maux et actions parfois pas menée jusqu'au bout.
“rééquilibrage alimentaire”... cette expression qui a remplacé régimes ( plus vendeur, moins alarmant, limite beau gosse et tentant comme expression) me rend hysterique. je me suis presque etripée avec une copine à ce sujet !!! Je crie partout que j'aimerai qu'on foute enfin la paix aux femmes sur leur physique etc... mais j'arirve dejà pas à me foutre la paix à moi meme...
Nous foutons-nous un jour la paix avec notre physique ? Pas certaine, tellement c'est ancré.