Ceux qui me suivent depuis un moment connaissent mes obsessions sportives. Je veux dire, ma passion pour le sport qui se regarde. Surtout pas celui qui se pratique, malheureusement pour mon système cardio-vasculaire. Double peine pour ce dernier. Non seulement il est au repos depuis toujours mais en plus il souffre terriblement à chaque compétition. Bien sûr, les J.O m’ont permis de me découvrir de nouvelles lubies (qui aurait pensé que je puisse pleurer en regardant trois garçons sur des vélos à petites roues dévaler des bosses recouvertes de moquette ?).
Mais la dernière en date, je dois bien avouer que je ne l’avais pas vue venir.
J’ai nommé le Vendée Globe.
Je ne m’explique pas le pourquoi du comment mais j’ai développé une addiction proche du pathologique pour cette course autour du monde en bateau. Je n’exagère pas, je regarde le classement plusieurs fois par jour (ok, confidence pour confidence, je connais les horaires d’actualisation et je ne manque que très rarement ce rendez-vous), (toutes les cinq heures, voilà, vous êtes contents ?), je suis tous les participants sur Instagram et je lis absolument tous les articles sur le site officiel (qui sont soit-dit en passant extrêmement bien écrits). Je l’avais d’autant moins vu venir que mon seul cours de voile en Bretagne m’a laissé un cuisant souvenir, j’ai passé un après-midi à dessaler sur un optimiste et à me faire engueuler copieusement par le pas très gentil animateur. Je me suis juré que plus JAMAIS on m’y reprendrait. Et j’ai fabriqué trois enfants qui vomissent AVANT de monter sur n’importe quelle embarcation sur l’eau. Bref, la navigation ne coule pas dans mes veines et pourtant…
Pourtant, donc, je suis en apnée depuis plus de soixante jours. Pour la jeune Violette Dorange, 23, ans, qui effectue son premier Vendée, sur l’ancien bateau de Jean Le Cam (j’y reviendrai, il fait partie de mes préférés) et qui ne le sait pas mais est devenue une sorte de quatrième enfant virtuel pour moi (comme si ça ne me suffisait pas de m’inquiéter h24 pour les trois autres, non, il a fallu que je m’en rajoute une couche). Violette, donc, une bouille à croquer, un sourire à faire fondre les icebergs du pacifique sud et un courage en bandoulière qui me fait m’interroger quotidiennement: qu’est-ce qui peut expliquer que le monde se divise en deux, les lâches d’un côté et les Violette de l’autre ? D’où ça vient, est-ce que ça commence dans le ventre de la mère (mer ?) ou est-ce que ça s’acquiert petit à petit ? Certes, j’ai des débuts de réponse, élevée par une maman inquiète, j’ai moi même fabriqué des enfants très prudents à force de hurler dès qu’ils descendaient le moindre toboggan (comment faites vous, les mamans qui ne bougez pas d’un poil quand vos gamins glissent la tête la première ou risquent l’étranglement sur ces créations maléfiques que sont les “araignées” ?).
J’ai quelques éléments de réponse, certes, mais je m’interroge tout de même: comment Violette Dorange a-t-elle été élevée pour avoir, à 23 ans, (un nouveau né en quelque sorte) l’envie et l’idée de s’en aller seule pendant près de trois mois sur un rafiot, pour traverser des endroits où pas une âme ne s’aventure à part quelques albatros ? Et surtout: comment font ses parents depuis dix semaines ? Bénéficient-ils d’une cellule psychologique ? Est-ce qu’ils dorment à tour de rôle au cas où elle les appellerait ? Personnellement je pense que j’aurais opté pour un coma artificiel jusqu’à son retour. Je suis cette personne qui envoie un premier message à sa fille aînée pour savoir si elle est bien rentrée chez elle. Puis un deuxième l’air de rien en cas de non réponse, en mode “au fait, je te conseille cette série” (rien à foutre de cette série, j’essaye de l’appâter pour qu’elle réponde). Puis, après dix minutes, un “ça va ?”. Et enfin, au bout d’une heure sans réponse, je sors la grosse artillerie: “sans preuve de vie immédiate, j’appelle la police”. Autant vous dire qu’un de mes enfants seul sur une barque à voile au point Nemo (le point le plus éloigné de toute terre sur le globe), c’est assez inenvisageable.
Bref, Violette Dorange, avec son timbre fluet, son enthousiasme enfantin lorsqu’elle passe le cap Horn ou qu’elle filme son bateau depuis le haut de son mat (28 mètres putain) en s’exclamant que c’est moitié beau moitié effrayant (NON VIOLETTE C’EST 100% EFFRAYANT, REDESCENDS IMMÉDIATEMENT), sa voix qui tremble parfois dans certains de ses vocaux (oui je pense qu’à ce stade personne ne sera étonné d’apprendre que je suis abonnée à son canal en plus de son insta) parce qu’elle a encore cassé son lashing et qu’il lui a fallu remonter sur ce putain de mat par vingt noeuds de vent et deux mètres de houle.
Mais aussi, donc, Jean Le Cam, à l’autre bout de la pyramide des âges des concurrents de cette édition 2024, vieux loup de mer ébouriffé, peau tannée du gars qui se bat les reins des UV, yeux délavés et grosses pognes qui savent tout réparer à bord. Lui aussi envoie des vidéos depuis le cap de bonne espérance ou les îles Kerguelen. Il ponctue toutes ses phrases d’un “clac clac clac” devenu légendaire chez nous les suiveurs du Vendée. (oui, on forme une communauté). Si Violette m’angoisse, le roi Jean, lui, m’apaise. Rien ne semble l’ébranler, ni la perte de son J1 (évidemment que je connais désormais le nom de chacune des voiles), ni la rupture d’un câble qui peut potentiellement provoquer le démâtage (le pire qui puisse arriver sachez-le). Clac clac clac, le gars bricole, recoud, colmate, fait des noeuds. Il doit en être à son dixième tour du monde, mais quand il passe le Horn, il a de l’eau plein des yeux. Et lorsqu’une jeune pilote d’avion basée aux Malouines le survole avec son petit coucou et l’appelle à la radio, il est heureux comme un gamin devant le sapin. Avec sa grosse voix, on pourrait se dire que c’est un ours mal léché mais il y a deux jours, il a hébergé un petit oiseau visiblement fatigué par sa grande traversée et qui avait trouvé refuge à l’avant de son embarcation. Croyez-moi, vous ne verrez rien de plus mignon que Jean Le Cam tentant de faire boire de l’eau à ce piaf prénommé Albert pour l’occasion. Quand il lui a dit “n’aie pas peur mon coeur”, bah j’ai chialé comme un bébé, bien sûr. Même qu’en l’écrivant c’est moi qui ai de nouveau de l’eau plein les mirettes.
Jean, mais aussi Clarisse, qui passe de l’extrême joie au plus profond abattement dix fois par jour, Eric Bellion qui a dû abandonner parce qu’il avait cassé je ne sais plus quoi, son J3 ou son safran, Sébastien Simon arrivé troisième sur un foil, l’autre ayant rendu les armes à mi-parcours, ou encore Samantha Davis qui parle un français parfait avec un accent délicieux et qui elle, affronte tous les emmerdes sans jamais se plaindre.
Bref, je suis devenue incollable sur la météo de l’hémisphère sud, je sais que quand ils sont dans la pétole ça signifie qu’il n’y a pas de vent, je ne parle plus de pluie mais de grains, je n’ignore plus rien des alyzées et je crois que j’aimerais, un jour, aller voir ce fameux cap Horn qui fait pleurer même les marins les plus aguerris. Je saoule tout le monde chez moi avec ça et je n’exclus pas de me pointer aux Sables d’Olonne le 6 mars pour accueillir Violette (ça se fait non vu que c’est comme ma fille ?).
Et si je vous raconte tout ça c’est d’une part parce que plus personne chez moi ne veut m’entendre parler de ces fichus bateaux mais aussi pour essayer de comprendre ce qui me touche à ce point là dans cette aventure par procuration. Je suis sûre d’une chose c’est que ça n’est pas une façon justement de vivre quelque chose qui me fait rêver parce que vraiment, non, vraiment, je ne les envie pas une seule seconde. La solitude, le danger, l’isolement, la toilette à la lingette, le sommeil flingué (ils dorment par tranche de vingt minutes et généralement dès qu’ils sombrent une heure ils sont réveillés par des alarmes leur signifiant qu’un nouveau truc se barre en couilles), la bouffe lyophilisée, c’est un résumé de tout ce dont je ne REVE PAS. (et je ne parlerai pas du sujet qu’aucun d’eux n’aborde mais qui pose quand même question: comment font-ils pour chier ?!) (j’en ai donc parlé).
J’imagine que c’est justement pour ça. Parce que ça m’est si étranger, si éloigné de ce que je suis. Parce que dans le merdier gigantesque dans lequel on navigue actuellement (vous apprécierez la métaphore filée, merci), c’est étrangement rassurant de voir ces marins s’émerveiller face aux levers et couchers de soleil, faire des offrandes à Neptune à chaque cap franchi et donner des prénoms à des oiseaux perdus dans l’océan indien.
Voilà, cette lettre n’avait pas beaucoup de sens, et je me retiens de continuer parce que des anecdotes j’en ai plein, alors que je n’ai pas foutu le pied sur l’eau.
Un grand merci à nouveau pour vos mots sur ma dernière missive, l’une d’entre vous m’a écrit que ce qu’elle aimait dans ma newsletter c’était son irrégularité, parce qu’elle arrivait toujours par surprise. Ça m’a beaucoup touchée et aussi un peu rassurée parce que je pense que je ne serai jamais bien régulière ici, mais peut-être que c’est bien, aussi, d’arriver quand on ne nous attend pas, un peu comme un grain dans l’Atlantique sud, non ?
C'est grâce à tes stories que j'ai connu Violette, et justement elle est dans la liste de 17 femmes de la 1ère sélection de noms pour le nouveau collège de mes fils :-) Entre Hannah Arendt et Annie Ernaux, Violette Dorange, 23 ans, dont un collège de Nantes portera peut-être le nom d'ici quelques mois :-)
Je comprends tout à fait ce que tu ressens et vis !
Je me.passionne aussi pour cette course et je suis allée découvrir le tuto de Guirec pour comprendre J2, j1...
Je suis arrivée à m'intéresser à cette course grâce à Violette et oui, quelle idée de grimper au mat ( encore !) et je kiffe Jean le sage et Clacla qui prend sa douche sous la pluie . Comme toi, je me demande ce qui me facsine...et je crois que c'est de voir les éléments déchaînés dans leur toute puissance et de voir que ces marins font avec et pas contre...il s'adapte à la nature et pas l'inverse et je crois que c'est ce qui me parle...
J'en reste pas moins admirative de ce courage et force mentale pour se lancer dans une telle course ! ( ou la folie !)
Bref, merci de cette.newsletter qui est toujours une belle surprise. !
Bon dimanche !!!