Il y a quelques jours, ma fille m’envoie un “reel” d’Instagram qu’elle commentait ainsi: “intéressant mais compliqué quand même”. Je regarde et il s’agissait d’une jeune femme expliquant avec grand sérieux à quel point il était facile de gérer son flux menstruel sans avoir recours aux tampons ou serviettes. Tout ça en s’appuyant sur un argument imparable: si on a été fabriquées, nous les personnes dotées d’un utérus, avec un endomètre qui saigne tous les mois, c’est qu’à priori on ne devrait pas avoir besoin d’accessoires pour s’en sortir.
Imparable. Et complètement con. A priori on a aussi été créés avec un intestin, je propose donc qu’on actionne la fonction autonettoyante et qu’on arrête d’acheter du PQ. Mieux, jetons les couches pour enfants et autres langes et laissons les croupir dans leur caca, puisqu’après tout, les bébés de cro-magnon mettaient pas de Pampers.
Bref, au delà de la bêtise du propos, ce qui m’a frappée, c’est cette injonction de plus. Imposée aux femmes, évidemment. Qu’on ne s’y trompe pas, si certain.e.s parviennent à contrôler leur flux - apparemment c’est extrêmement simple, il suffirait de compter trois ou quatre contractions de l’utérus avant d’aller se vider aux toilettes - tant mieux pour elles. Il s’agit sans doute de personnes qui n’éternuent jamais.
Mais si j’en parle ici, c’est 1) parce que j’avais pas d’autre idée pour cette newsletter et 2) parce que mine de rien apparemment l’idée fait son chemin et que cette prêtresse des menstrues libérées collectionnait un nombre assez important de likes et de commentaires. Dont pas mal de jeunes femmes bien désolées de ne pas arriver à se passer de protections périodiques. Je me suis fait la réflexion que tout de même, à l’âge de mes filles, je subissais moins d’injonctions. Alors bien sûr, c’est un signe de vieillesse de se dire que c’était mieux avant. D’autant qu’en vérité tout n’était évidemment pas mieux avant et que je suis extrêmement soulagée que certains comportements jugés normaux - mettre des mains au cul ou siffler les meufs dans la rue par exemple - soient aujourd’hui regardés d’un mauvais oeil. Mais quand même.
Il faut évidemment faire attention à son empreinte carbone, à ce qu’on mange, à ce qu’on porte, à faire 10 000 pas par jour minimum, à vérifier avec Yuka que ce qu’on achète n’est pas bourré de sucre, à changer son gosse sans lui lever les pattes en l’air (cf une précédente newsletter), allaiter douze ans mais discrètement, etc.
Je ne suis pas contre tout ça. Mais comme par hasard, qui doit se taper tout ça ? Les personnes dotées, donc, d’un utérus. Et voilà que même dans notre intimité la plus privée, dans ce qui constitue quand même la plus grosse tannée de notre existence et qui revient tous les fucking mois pendant la moitié de notre vie ou presque, il faudrait là aussi avoir le contrôle. Personnellement je ne suis plus trop concernée et ce depuis longtemps parce que j’ai opté pour le stérilet Mirena après mon dernier accouchement, mais en tant que professionnelle de l’accident de règles, si j’avais dû ne serait-ce que deux heures, tenter de retenir mon flux, ma vie sociale aurait été terminée. (bon ceci étant dit, d’après la dame, c’est sans doute parce qu’en portant des serviettes ou des tampons, j’envoyais un mauvais signal à mon endomètre, qui se croyait absolument tout permis). Bref, (je viens d’apprendre que “bref” est un acronyme qui signifie “bon revenons en aux faits”, je ne m’en remets pas) ce qui m’a plus que tout interpellée c’est que ma fille puisse se dire que c’était “intéressant” et qu’elle soit déjà plus ou moins en train de s’en vouloir à l’avance de ne pas y arriver.
Et sans transition, le même jour, j’ai entendu une jeune influenceuse, que j’apprécie par ailleurs pour sa créativité, tenir ce discours que j’ai moi même pu avoir, sur la nécessité de trouver un “travail passion” de façon à ne plus jamais avoir l’impression de travailler. Et je ne sais pas trop pourquoi, ceci m’a fait penser à cela. Une injonction finalement de plus. J’ai longtemps cru moi même et seriné mes enfants sur l’importance du plaisir et d’aller vers son désir. Je ne me renie pas. Mais quid de tous ceux qui ne savent pas vraiment, justement, quel est leur désir ? Ou de ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder à ce “travail passion” ? Sans compter que cette fameuse phrase, selon laquelle si tu trouves un travail que tu aimes, tu n’auras jamais la sensation de bosser, c’est quand même un énorme arnaque. Personnellement, je pense pouvoir affirmer exercer la profession de mes rêves. Pourtant désolée mais il m’arrive assez souvent d’en avoir plein le dos, de ne penser qu’aux vacances et de procrastiner comme une malade. Surtout, si je m’épanouis, je prends du plaisir également à ne rien faire. Je ne sais pas si je suis très claire mais en ayant des enfants désormais sur le point d’entrer dans la fameuse “vie active”, je prends conscience des ravages de ces injonctions à la passion et au plaisir. Parce que trouver sa voie est un marathon. Et on a pas pour autant raté sa vie si on se fait chier au boulot. Sachant que même ceux qui ont la chance de faire un truc qui les éclate en chient aussi parfois.
Voilà, c’était bien décousu mais si je veux résumer, laissez nos endomètres tranquilles et ne conditionnez pas notre bonheur à nos seules carrières.
Bonne semaine…
Cette question du travail passion, c’est un sujet auquel je réfléchis souvent et c’est une notion qui me dérange de plus en plus, car elle pousse à chercher quelque chose qui n’existe pas en mettant le plaisir au centre de tout, comme valeur suprême de l’existence. Quand on a la chance de faire quelque chose qui nous épanouit vraiment, je n’ai pas l’impression que le plaisir ou disons la recherche du « sentiment de ne pas travailler » soit vraiment central. En tout cas ce n’est pas mon cas. J’ai au contraire le sentiment, très souvent de faire un métier très ingrat. Mais justement, c’est parce que je l’aime assez pour supporter son côté ingrat (et bien d’autres choses d’ailleurs) que je le fais. Pas parce qu’il est facile et source de plaisirs sans fin. Enfin. BREF ☺️
(après le problème des métiers passion c’est qu’on les considère souvent comme inutiles, mais c’est encore un autre sujet)
Ah ce travail-passion... J'ai eu cette conversation avec mon fils de 23 ans qui, finalement, a décidé de ne pas faire le métier pour lequel il est formé, parce que "ce n'est pas une passion". J'aime mon boulot, je pense même que je suis bonne à ce que je fais, mais non corriger des copies n'est pas une passion, expliquer à des gamins la complexité du monde ne suffit pas toujours à me faire lever en chantant. Mais visiblement pour lui, il faut ce n'est pas suffisant. La dictature du kif... Qui l'eut cru? Sans doute aurais-je du m'en douter quand même puisque depuis une bonne décennie, l'injonction qu'on nous assène est celle de faire ludique pour que les gamins travaillent sans s'en rendre compte. L'effort cet ennemi suprême... Oh putain, moi aussi, je vieillis...