Je tourne autour du sujet depuis un moment. Je sais qu’il est hautement inflammable, je me doute que quelle que soit la façon de l’aborder, il peut être mal interprété et je suis très lucide quant à ma propre ambivalence sur le propos que je m’apprête à développer. Mais comme cette newsletter n’a d’autre but que de vous livrer l’état de mon esprit au moment où j’écris ces mots, allons-y.
J’ai maigri. Je pense que tous ceux et celles qui me suivent depuis un moment le savent, je ne veux pas spécialement en faire des gorges chaudes ou un sujet, par superstition, par conviction aussi parce que je ne cherche pas à valoriser cet amaigrissement. Mais le fait est qu’actuellement, je pèse beaucoup moins lourd qu’il y a un an. Et que si les premiers mois, quand je me délestais peu à peu de mes kilos, cela ne modifiait pas mon rapport aux autres, soudainement, je ne saurais dire exactement à quel moment, j’ai observé un réel changement. En vérité, je crois que je sais à peu près de quand ça date et c’est assez troublant, ça correspond à la période où mon IMC est sorti des radars du surpoids.
Et ce changement, s’il est positif à première vue, est également terrifiant. Parce qu’il dit beaucoup de la grossophobie dont on souffre au quotidien lorsque justement, l’IMC explose les courbes. D’avoir été des deux côtés, de savoir en mon fort intérieur que rien ne me garantit de ne pas retourner un jour au pays de l’obésité, me donne, je crois, le droit, peut-être le devoir, d’en parler.
Parce que ça va bien au delà des compliments, que l’on attend et goûte avec gourmandise, pour s’apercevoir immanquablement qu’ensuite ils ont laissé un goût amer en bouche. Et ce, sans qu’il y ait eu une quelconque malice de la part de ceux qui les ont formulés. Quoi de moins malveillant que de féliciter quelqu’un pour son allure ? Il peut y avoir des maladresses, une insistance un peu lourde, sur la “métamorphose”, qui vient rappeler en creux qu’avant, c’était tout de même pas terrible. Mais je pense sincèrement que même ces phrases là ne sont que l’expression d’une grossophobie intériorisée dont personne n’est vraiment conscient. Et dont tout le monde est atteint, minces ou obèses.
Quand je dis que ça va bien au delà, c’est que ce qui m’a frappé en premier par exemple, c’est qu’au passage piéton que j’emprunte quotidiennement pour accéder au parc où je marche, les voitures s’arrêtent plus volontiers. Au début, je me suis dit que c’était une coïncidence. Mais cela se répète bien trop pour que c’en soit une. Auparavant, je ne tentais même pas de mettre un pied hors du trottoir quand je voyais une voiture arriver. Il n’y a pas de feu et je prenais pour acquis que jamais le véhicule ne freinerait en me voyant prête à traverser. Et je faisais bien parce qu’en effet, neuf fois sur dix, bien que m’ayant vue, les voitures accéléraient. Neuf fois sur dix aujourd’hui, elles s’arrêtent. Peut-être que c’est une vue de l’esprit. Mais la tonalité du “bonjour” des vendeuses dans les boutiques de fringues n’est plus la même non plus et ça, je suis persuadée que je ne l’invente pas. L’indulgence d’un contrôleur qui me laisse tranquille alors que j’ai oublié de valider mon navigo dans le tram, je suis à peu près persuadée que je n’en aurais pas bénéficié avant.
Tout ça peut sembler dérisoire. Surtout quand on a jamais eu à vivre ces micro violences. C’est un peu comme la santé, on réalise à quel point elle comptait quand on la perd. Dans mon cas, c’est le processus inverse. J’ai l’impression de découvrir à quel point la vie est plus douce quand on est pas “à priori” considérée comme un poil inférieure et donc moins digne d’attention.
Toute proportions gardées, hein. Je ne dis pas que je passais ma vie à être mal traitée. Parfois je ressentais consciemment un regard désapprobateur, je devinais la pensée d’une vendeuse qui soupirait de devoir m’annoncer que non, elle n’avait rien au dessus du 44. Mais j’avais plutôt tendance à me dire que ça venait de moi, que c’était ma paranoïa de grosse, qui devançait voir s’inventait des jugements qui n’existaient que dans ma tête.
Spoiler alert: je n’inventais rien !
Et je vous dis ça depuis ma position de femme ayant été en obésité mais qui restait “dans les normes”. Si j’ai flirté avec la frontière de la morbidité, je ne l’ai jamais franchie et je pense que j’ai échappé à un traitement bien pire, que seul(e)s ceux et celles qui l’ont connu peuvent raconter.
Je ne vous raconte pas tout ça pour me faire plaindre à postériori. Et je suis bien consciente que je n’invente pas l’eau tiède, je ne viens pas d’inventer le concept de la grossophobie. Mais c’est la première fois que j’en ressens autant les effets une fois que ceux-ci justement ont disparu. Parce qu’on s’habitue. On compense. On parvient à infléchir le jugement de première intention de nos interlocuteurs, en usant de toutes les combines des gros(ses) : plus de sourires, plus de gentillesse, plus de politesse, plus d’humour, de souplesse, d’autodérision. Tout ce qui peut nous rendre davantage aimable, en dépit du reste (= > nos bourrelets). Enfin, c’était ma stratégie à moi en tous cas. Même si le mot stratégie n’est pas le bon parce que ça n’est pas prémédité. On ne fait pas semblant de sourire. On essaie juste de survivre, au départ. Et ça devient une seconde nature. Tant et si bien que normalement, on finit par faire oublier aux autres ce qu’ils ont ressenti à la première rencontre.
Mais là, je découvre que je peux être désirable professionnellement uniquement grâce à un tailleur rose qui tombait pas trop mal. Que je pourrais, éventuellement, même, ne pas trop me faire chier à être sympa, ça ne me pénaliserait pas forcément. Je vous jure que je n’exagère pas, j’ai croisé certaines personnes durant le festival qui ne m’avaient jamais calculée et qui soudainement semblait m’apprécier au delà du raisonnable. Alors peut-être que ça avait à voir avec ma position de jurée, mais pas que. D’un coup, je faisais un peu plus facilement partie du club.
Et là où ça devient dangereux, c’est que bien évidemment, j’adore ça.
Qui n’aimerait pas ? Encore plus quand ça vous tombe dessus à un âge où on est censée, en tant que femme, devenir invisible ? Et aimer ça, c’est se mettre à y tenir. Et donc à avoir peur que ça nous soit repris. Ce qui ne fait généralement pas bon ménage avec la sérénité alimentaire.
Je prends mille pincettes, je m’en rends bien compte, mais c’est important: je ne suis pas en train de dire que tout le monde veut me pécho et que je vais avoir un bond dans ma carrière parce que j’ai perdu du poids. Personne ne veut particulièrement me pécho, en tous cas pas à ma connaissance. Et je pense avoir fait suffisamment mes preuves même proche d’un poids à trois chiffres pour ne pas attendre de ma nouvelle silhouette qu’elle m’apporte des contrats.
Mais la vie est plus facile quand on est en IMC “normal”. Et pas uniquement parce que physiquement, c’est indéniable, je me sens plus en forme.
Après, pour tenter de modérer un peu mon propos, il est fort possible qu’en me sentant mieux, je renvoie aussi quelque chose de plus positif et que les vases communiquant bien entre eux, ceci explique cela. On a peut-être plus envie de céder le passage à une personne avenante, qui se tient droite parce qu’elle n’éprouve plus le besoin de se planquer. On a peut-être plus envie d’aborder une connaissance professionnelle qui dégage de la confiance en soi qu’une autre qui rase les murs. On a peut-être plus envie de confier un boulot à quelqu’un qui semble dynamique et bien dans sa peau qu'à quelqu’un qui ploie sous le poids de sa condition et frôle le malaise après avoir monté un étage à pieds. (Je parle uniquement de moi là, hein, je ne dis pas que toutes les personnes grosses sont en mauvaise santé, moi je l’étais et là aussi je m’en rends vraiment compte maintenant que je vais mieux). Mais où est l’oeuf, où est la poule, ma bonne dame ?
Tout en écrivant, j’essaie de me rappeler de la raison pour laquelle j’ai eu envie de jeter tout ça sur mon clavier. Sans doute que c’est là aussi ambivalent. Il y a forcément une part de jubilation. La même qui me fait savourer les compliments empoisonnés. Mais il y a aussi le petit espoir qu’après m’avoir lue, peut-être que certain(e)s d’entre vous freineront pour qu’une personne grosse traverse en toute sérénité. Le petit espoir que ceux qui n’ont jamais été confrontés à la grossophobie et qui doutent même du concept comprennent qu’elle se niche, comme le diable, dans des détails. Et que c’est ce qui la rend si pernicieuse.
Je n’aurai jamais assez d’une vie pour me réconcilier avec celle que j’ai été et qui était la première à se détester. J’espère y arriver avant ce jour où, peut-être, mon tailleur rose ne sera plus qu’un doux souvenir et coincera aux genoux quand je voudrai le remettre. Je sais au fond de moi qu’il n’y aura que comme ça que je laisserai tranquille pour de bon les tablettes de chocolat au fond du tiroir.
Bonne journée, quel que soit le poids que vous fassiez. Parce qu’à l’arrivée, ce qui compte, c’est quand même et surtout d’être en vie.
Tu n'as pas à prendre des pincettes, c'est la structe réalité. J'étais mince, je suis grosse. Depuis que je suis grosse, tout le monde me marche sur la tête. Tout le monde. En jubilant! Et comme je ne fais pas l'effort d'être sympa, je suis complètement reléguée. Ce qui m'est égal. Par contre, le fait de savoir que je ne suis pas aussi bien soignée ( côté santé) que les minces me fait flipper.
Bonjour :)
Je n'ai pas lu les commentaires (mais je vais le faire), alors je vais peut-être répéter ce qui a déjà été dit.... Je suis passée par le même parcours que toi (spoiler négatif: j'ai tout repris!) et je me souviens avoir ressenti exactement la même chose.
SAUF un truc que tu ne cites pas: la colère.
La colère de voir que des gens qui m'ignoraient me trouvaient subitement très fréquentable. J'avais vraiment envie de hurler "MAIS J'ÉTAIS AUSSI DRÔLE QUAND J'ÉTAIS GROSSE PAUVRE CON!"
Que des inconnus n'aient pas la même attitude que d'autres inconnus avant, admettons.
(et oui, ça fait plaisir.)
Mais que des gens de mon quotidien, changent, ça m'a vraiment fait de la peine.
Je pensais tout le temps "mais enfin, je suis la même personne à l'intérieur, pourquoi ces 20 kilos (oui, 20...) en moins font que tu me parles différemment?
J'avais limite envie de leur dire "Vas y, je vais re-grossir et je t'emmerde!"
C'est un peu violent, je l'admets et. bon, j'ai tout repris 3 ans plus tard.
Mais je suis déterminée à retrouver cette jolie silhouette. Pour moi uniquement,:)