Quand j’ai reçu ce coup de téléphone au mois de mai, me proposant de faire partie du jury du Festival de la fiction de La Rochelle, j’ai dû me pincer pour y croire. Il faut savoir que dans mon métier, c’est l’équivalent, toutes proportions gardées bien sûr - mais quand même, disons le haut et fort - de Cannes pour le cinéma. Alors oui bien sûr, il y a aussi Sériesmania à Lille, mais La Rochelle, pour toute personne travaillant dans la fiction télé, c’est LE rendez-vous du mois de septembre, la fin symbolique de la trêve estivale, notre rentrée scolaire à nous. “Tu seras à La Rochelle ?” est sans doute la question la plus souvent posée à partir du 15 juillet et forcément, le must est de pouvoir répondre que “oui parce que j’ai un truc en compétition”. Ce qui a été ma chance ces deux dernières années. Certes sans prix à la clé, mais très honnêtement, avoir le privilège de présenter ces deux films avec les équipes et mes co-auteurs a été à chaque fois un plaisir immense. Je me rappellerai toute ma vie de l’émotion à la fin de la projection de La Belle Etincelle et de cette sensation, enfin, d’être exactement à ma place, d’avoir emprunté le bon chemin.
Sans parler de l’atmosphère très particulière qui règne dans cette ville de bord de mer durant ces quatre jours. Comme si soudainement tout le milieu professionnel dans lequel je gravite migrait autour de quatre terrasses et de deux salles de cinéma.
Alors bien sûr, c’est aussi le lieu de toutes les vanités, ça se courtise, ça s’évite, ça se vend, ça se ment, ça se pitche, ça se congratule, ça se critique, rarement de face. Mais ça rit aussi, ça danse, ça décompresse et ça se mélange, comme dans une immense kermesse, où les plus haut de l’échelle sociale se retrouvent à trinquer avec le menu fretin qui peut-être dans quelques années sera passé du côté des puissants. On boit beaucoup, du Perrier et du coca zéro durant les speed-dating heure dans la journée (parce que bien sûr, à la question “tu seras à La Rochelle ?” succède “A quel moment on peut se voir ?” et de la bière un peu tiède dans la rue de Chez Hortense une fois les obligations de la journée acquittée. En un mot comme en cent, on a aucune chance de ne pas finir le séjour extrêmement ballonnée.
Bref, quand S., ma bienfaitrice en ce mois de mai m’a demandé si j’accepterais de faire partie du jury, je n’ai pas fait semblant une demi-seconde d’avoir besoin d’y réfléchir ni même de prendre la proposition avec flegme. J’ai glapi que oui oui oui, en reniflant d’émotion. Pour le prestige de la fonction, évidemment, mais aussi et surtout parce que regarder des films et des séries et donner mon avis dessus fait partie de ce que j’aime le plus au monde, avec les écrire (mais franchement, c’est plus facile de donner mon avis que d’en écrire). Dans les jours qui ont suivi, je n’ai pas eu d’autres nouvelles et j’ai commencé à me dire que je n’avais peut-être pas bien compris, ou que S. avait réalisé son erreur, qu’un autre profil bien plus désirable s’était présenté, que si ça se trouve j’avais inventé tout ça, qu’on avait foutu du GHB dans mon café ou autre explication rationnelle à ce malentendu. Alors comme j’ai une confiance immense en moi et que je ne suis pas du tout frappée du syndrome de l’imposteur, je lui ai laissé un sms pathétique, en lui disant que ça n’était vraiment pas grave si ça ne pouvait finalement pas se faire, qu’il n’y avait aucun problème et que je comprenais totalement. Limite si je ne me suis pas excusée d’avoir pu croire deux secondes que c’était une demande sérieuse.
Pas mon moment le plus glorieux, pas le mouv le plus digne. En réponse, je me suis pris une volée de bois vert : comment j’avais pu imaginer que cette proposition m’avait été faite à la légère ? J’ai réalisé que non seulement mon message était ridicule mais qu’il était à la limite de l’insultant en vérité. Ce jour là, j’ai eu un long tête à tête avec moi même, prenant l’engagement d’arrêter de me saborder en me voyant plus petite que je ne suis.
Juré(e) craché.
Bon, on ne va pas se mentir, je ne suis pas certaine que ce pacte avec mon égo fissuré tienne sur le long terme. Et puis est-ce qu’on peut changer à mon âge ? Est-ce qu’on peut devenir une autre, être solide sur ses appuis et sûre de son fait juste parce qu’on l’a décidé ? Je ne crois pas et je ne sais pas s’il faut le regretter. D’une certaine manière, c’est peut-être ce qui fait mon charme (laissez moi y croire, merci).
Mais si je vous raconte tout ça - au delà de ma volonté manifeste de me la péter quand même un peu - (on peut avoir un égo fissuré et n’en être pas moins très narcissique) c’est pour vous dire qu’on peut vivre des choses follement excitantes alors même qu’on est officiellement entrée dans cette phase de la fameuse invisibilité des femmes de plus de cinquante ans. On peut avoir encore des cadeaux de la vie, se projeter en prononçant un discours aux césars (oui celui qu’on ré-écrit depuis l’âge de dix ans, en ayant peur d’oublier quelqu’un et en s’excusant mentalement auprès de ceux qu’on a pas assez remercié), espérer une extraordinaire histoire d’amour, repartir de zéro, rêver d’un voyage fabuleux, ou mille autres choses.
Ayant commencé ce métier de scénariste relativement sur le tard, j’ai été “junior” à un âge avancé. Ce qui fait de moi une “late bloomer” comme on dit. Et vous savez quoi ? Je ne regrette absolument pas ce temps qu’il m’a fallu pour trouver le chemin qui menait à moi. Parce qu’en réalité, je crois que c’est comme ça qu’on fait durer le plaisir.
Alors cette newsletter est pour tous(tes) ceux et celles qui peinent à s’épanouir, qui ont la sensation d’avoir un train de retard ou qui au contraire craignent d’être déjà arrivé(e)s à destination. La vie a définitivement plus d’imagination que nous et tant que l’envie est là, on a toujours l’âge des possibles.
Je vous raconterai ces quelques jours, du moins ce qui m’est autorisé à être raconté, les délibérations sont évidemment confidentielles, mais quelque chose me dit que je ne suis pas au bout de mes surprises, même si j’ai pas moins de QUATRE paires de chaussures dans ma valise (on ne devrait pas me voir marcher pieds nus avec des sandales décollées sur le port de La Rochelle).
Je ne vais pas vous mentir, je ne suis pas ultra sereine de l’outfit même si j’ai été coachée par la meilleure des stylistes, je veux évidemment parler de ma Violette SBEP nationale.
En attendant, je vais aller dormir, parce que demain, j’ai rendez-vous avec le président du jury. Ah oui, je ne vous ai pas dit ? C’est Thierry Godard.
Drop the mic…
PS: merci encore, chère S., d’avoir illuminé ainsi ma rentrée. J’espère être à la hauteur de cette confiance.
Tellement mais tellement fière de toi !!! Moi qui te suis depuis les débuts de ton blog! Les twins étaient à la maternelle, Rose même pas envisagée ! La cabine d’essayage, les humiliations, le style déjà qui rend accro les lectrices de l’ombre comme moi. Te voir grandir t’épanouir et colmater quand même un peu cet ego fissuré fut un grand bonheur quotidien pendant longtemps. Tu te fais rare tant pis pour nous… on sera un peu avec toi à La Rochelle pour vivre cette consécration… et qui sait, une jeune scénariste dans quelques années, troublée et rougissante écrira quelque part … je vais rencontrer la présidente du jury, c’est … Caroline F !
Congrats chère amie virtuelle !
Merci d’avoir si bien écrit ce que j’ai vécu il y a à peine un mois. On me téléphone pour me proposer de postuler à une bourse de recherche à l’étranger dans un pays pour lequel je suis spécialiste et sur lequel j’écris depuis au moins 20 ans. Je m’exécute mais dans la crainte. Au bout d’un mois d’attente j’envoie un mail disant : c’est pas grave, je comprends…. Là aussi la réponse dans la journée : vous comprenez quoi ? La décision n’a pas été encore rendue. Une sous estimation rendue publique. Comment peuvent ils me faire confiance si je ne me fais pas confiance…. Finalement je l’ai eue. J’étais super heureuse. Heureuse mais honteuse quand même. Je me suis promis de croire un peu…. Je vaux m’y tenir jusqu’à la prochaine fois où mon manque de confiance me fera flancher. Pffff…. Merci pour cette newsletter. Suis pas heureuse qu’on soit plusieurs dans ce cas. Suis juste soulagée de penser qu’on peut réussir quand même !!!!! Et félicitations 🍾 parce que, quand même, c’est une sacrée reconnaissance !