Trois fois que je recommence le début de cette lettre. Ce qui m’arrive extrêmement rarement. Pourquoi ces hésitations ? Parce qu’en vérité, je sais très bien de quoi je veux vraiment parler, mais comme je me l’interdis parce que j’ai la sensation d’avoir épuisé mes réserves sur le sujet, je tente autre chose. Sauf que je n’ai pas envie de parler de mon week-end à Deauville, offert par mes enfants chéris et pendant lequel je me suis exclusivement nourrie de moules alors que ça n’était pas la saison. Je n’ai pas non plus envie de parler de la situation politique du moment qui me glace et me terrifie au point de ne plus arriver à me projeter au delà du lendemain, moi qui généralement réserve mes vacances d’une année sur l’autre et m’invente tous les jours une nouvelle vie pour “quand je serai grande” (évidemment que j’ai quand même regardé les annonces immobilières à Deauville, n’exagérons rien).
Non, le sujet qui trotte dans ma tête depuis des semaines, c’est - oh là là, quel scoop - celui de savoir si en maigrissant je suis devenue une traitre à la cause. Si vouloir à tout prix quitter la team des personnes grosses fait de moi une grossophobe. C’est me demander si je m’illusionne en pensant avoir, cette fois-ci craqué le code et définitivement tourné la page du XXL.
Je n’ai jamais caché ne pas aimer être en surpoids. Tout en militant pour que la discrimination anti-gros cesse, convaincue qu’elle est plus meurtrière que l’obésité elle même. J’ai toujours pensé que ces deux positionnements étaient compatibles, mais ces derniers temps, force est de constater que, dans ce monde polarisé où l’on ne peut plus du tout être un peu de ceci et un peu de cela (merci Macron d’avoir tué le “en même temps”), le fragile équilibre de mes opinions est menacé.
Je m’explique. D’un côté, il y a la médecine et une bonne partie de la société, qui nous serine à longueur de journée que l’épidémie d’obésité va tous nous tuer. Etre gros est une pathologie et ne rien faire pour changer cet état expose toute personne en surpoids à décéder, noyée dans son diabète ou son cholestérol. Et quelque part, bien fait pour elle. N’avait qu’à se bouger le cul.
De l’autre, les “fat activistes”, qui réfutent la pathologisation de l’obésité, qui estiment que ça n’est pas une maladie et que les corps gros devraient tout simplement être acceptés. Et que ce qui tue, donc, ce ne sont pas tous ces kilos, mais la grossophobie.
Et moi, au milieu, comme ce brave François Bayrou (shame on you).
Moi qui n’ai eu de cesse toute ma vie de maigrir. Et qui m’interroge. Etait-ce pour être bonne ? (oui, évidemment). Etait-ce par grossophobie intériorisée ? (sûrement). Question réglée du coup ?
ça serait trop simple.
Après une longue phase pendant laquelle j’ai, de guerre lasse, cessé de me préoccuper de mon poids (qui lui ne s’est pas gêné du coup pour s’en donner à coeur joie) je me suis retrouvée au pied du mur. Ok, la grossophobie. Ok, les normes d’une société glorifiant la minceur. Mais l’escalier du métro, lui, n’est pas grossophobe. Pas plus que ma glycémie ou mes brûlures d’estomac qui m’empêchaient de dormir, de peur de me réveiller noyée dans mes remontées acides (sorry, trash mais true).
Maladie ou pas, mon obésité était vraiment en train de me tuer. Je sais que j’ai tendance à exagérer, mais là, non. Mes analyses étaient sans appel, mon coeur fatiguait, ma tension était constamment trop haute et mon autonomie commençait à être menacée. D’où cette dernière tentative de me défaire de ce poids, de ce “moi en double” comme l’a si joliment écrit
dans une BD bouleversante.Cette fois-ci, aucune ambition esthétique, juste un instinct de survie et un désir d’améliorer mon quotidien. Oui, bien sûr, pouvoir m’habiller à nouveau facilement, croiser mon reflet dans la glace, me plaisent. Et ça, je veux bien à nouveau l’admettre, c’est le fruit de ma grossophobie intériorisée. Me trouver plus attrayante aujourd’hui est conditionné à ce qu’on s’accorde à trouver beau dans notre société. A savoir la sveltesse.
Mais ce que je ne m’attendais pas à lire ici et là c’est que vouloir sortir de ma condition de malade, parce que je l’étais, l’hypertension étant par exemple une maladie sans controverse, ferait de moi, pour certaines, une personne validiste.
Si j’ai bien compris le raisonnement un peu extrême mais véhiculé par certain.e.s militant.e.s, souhaiter rejoindre les rangs des personnes à l’IMC dans les clous, c’est refuser d’accepter d’organiser autrement sa vie de personne grosse et d’en tolérer les limites que cette vie comprend. Ce qui vient tout de même contredire l’affirmation de ces mêmes personnes qui refusent que l’obésité soit considérée comme une maladie. Parce que parler de validisme pour ceux qui veulent s’en extraire, sous entend tout de même selon moi que ceux qui le restent sont donc “non valides”. Ce que je commençais d’ailleurs à être, en vérité.
Au delà du paradoxe, cette injonction à ne pas vouloir maigrir, certes moins bruyante que celle à maigrir, est néanmoins pour moi extrêmement anxiogène. Alors même qu’elle est censée protéger les personnes grosses de la discrimination et des jugements de la société, elle vient finalement se rajouter au bruit ambiant. Et devient donc un “conseil” de plus, un avis non sollicité sur nos corps, dont nous devrions pouvoir disposer. Je comprends bien que tout est politique et que le simple fait de me montrer délestée de mes kilos puisse être pris pour une trahison à ma cause, une invitation silencieuse à faire comme moi. J’entends les militantes dont je parle ici me rétorquer qu’elles n’ont jamais voulu interdire à qui que ce soit de maigrir. Certes, mais soyons honnêtes. Il y a une radicalisation des discours qui fait qu’aujourd’hui, il faut choisir son camp. Et personnellement, lire ou entendre que les tentatives d’amaigrissement sont toutes vouées à l’échec (et c’est peut-être vrai, encore une fois je n’ai pas assez de recul pour prétendre le contraire), est tout aussi contre productif que de m’inviter à maigrir. Ces deux faces d’une même pièce de monnaie provoquent de l’anxiété. D’un côté, la peur de regrossir, de l’autre la peur de ne pas arriver à maigrir. Et dans les deux cas, bam, coucou les TCA.
Je n’ai pas vraiment de conclusion à ce texte, ni de solution. Je me réjouis qu’on entende davantage la voix des activistes qui luttent contre la grossophobie. Il est nécessaire de rappeler, tous les jours, que la grossophobie tue et engendre encore plus d’obésité. Il est indispensable de cesser de culpabiliser les personnes en surpoids, de les rendre fautives de leur situation. Et oui, bien sûr qu’il existe des obèses en bonne santé et heureuses telles qu’elles sont. Mais quand ça n’est pas le cas, pourrait-on ne pas condamner ceux et celles qui tentent de trouver une solution ? Et quand je dis condamner, j’entends bien sûr ne pas le leur reprocher mais aussi ne pas les regarder de haut en leur prédisant un effet yo-yo cataclysmique.
En fait, si, j’en ai une de conclusion. Foutons-nous la paix. Acceptons que certain.e.s préfèrent oublier la balance et consacrer leur vie à aimer un corps hors normes. Acceptons aussi que d’autres décident de défier les statistiques et les prévisions implacables, en essayant de prendre un chemin qui sera peut-être une voie sans issue.
ça vaut pour l’obésité mais pour à peu près tout le reste, en réalité. J’ai commencé en disant que je ne voulais pas parler de la situation politique actuelle, mais cette polarisation est partout. Elle nous détruit à petit feu, fait fi de la nuance, des cas particuliers, exige de nous que nous devenions tous des avocats, des procureurs, des experts en géopolitique, des médecins (bon ça en ce qui me concerne c’est le cas), des journalistes ou encore des spécialistes du nucléaire. Elle ne nous autorise plus le doute, le “je ne sais pas”, le “il ou elle a peut-être raison”.
Et ça me terrifie parce que nous allons tout droit vers des temps où il va nous falloir en effet choisir un camp. Mais comment allons-nous faire si ces camps exigent de nous qu’on se défasse de notre droit à nous questionner ?
J’ai validé cette NL par mon like. Ça fait de moi une validiste sans doute. Et je m'en réjouis.
Je rêve d’être féministe sans être accusée d’être misandre ou de ne pas être assez radicale. D’être concernée par l’écologie sans être clouée au piloris si je monte dans un avion, ni moquée quand je choisis d’aller à Vienne parce qu’il y a un train qui y va. D’être grosse mais d’avoir envie d’être mince, d’être en bonne santé mais d’être grosse etc etc etc.
Tu sais ce qui ne va pas c’est l’idée de « rejoindre les rangs ». On peut juste avoir envie de se rapprocher d’un rang, où être heureuse qu’un rang nous soutienne au moment où on en a besoin, ou de soutenir un rang, ou avoir toute sa vie le cul entre deux rangs (mais c’est mon côté centriste - ce qui en soit est très provocateur à assumer aujourd’hui !)
On ne devrait pas être obligé de se justifier tout le temps, de tout. Cette époque qui nous demande en permanence de rendre des comptes et de rendre compte m’épuise.
Je suis choquée de lire que quiconque ait pu supposer que « ta cause » soit celle des grosses (!) nos âmes ne pèsent pas grand chose elles, heureusement.
Je retourne bouffer mes bugnes, kiss kiss love love.
Toujours une joie de te lire.
J’adore ce que tu écris, surtout la fin. Je suis une grande modérée, spécialiste du ni-ni et du en même temps, toujours prompte à changer d’avis, complètement paumée quand il faut aller « au bout » d’un positionnement extrême. Souvent je lis un article et je me dis « je suis un peu d’accord » et je lis l’inverse dans un autre article et je me retrouve un peu d’accord aussi. Je suis fascinée par les militants qui sont prêt à raconter n’importe quoi sans sourciller alors même qu’on leur prouve par À + B que ce qu’ils disent est faux. Je ne sais pas comment cela est intellectuellement possible. Je me rassure en me disant que la nuance, le doute et la bonté nous sauveront. Sur le fond, je suis pour le coup 1000% d’accord : lâchez nous la grappe. Et cessons de prendre des histoires ou des comportements personnels pour une expression politique.
Bonne journée !