J’ai lu hier un article sur la disparition inquiétante de l’art de la conversation. Pas celle qui consiste à débattre fiévreusement avec sa famille ou ses amis de la réforme des retraites ou du bien fondé de l’obligation vaccinale. Pour ça, on est à mon avis encore assez performants nous les Français amoureux du verbe et des engueulades. Là, ça parlait plutôt de ce qu’on appelle en anglais le “small talk”, les brèves de comptoirs, les “ça s’est rafraichi non ?”, les “laissez tomber les clémentines elles sont fades, je me suis fait avoir la semaine dernière”, ou encore, quand on habite dans ma banlieue lointaine, “c’est le troisième pour Ivry, c’est infernal quand même cette ligne 7”.
Ma grand-mère était la championne du small talk. Bac + 12 de la pluie et du beau temps. Je me souviens, elle était déjà assez âgée, on la mettait dans un train à Lyon Perrache direction Briançon avec correspondance à Valence. 6 heures minimum de trajet, pas de portables à l’époque et une valise chargée de saucissons lyonnais pour son fils qui n’en trouvait évidemment pas dans cette petite ville des hautes Alpes. Ma mère était toujours très inquiète - c’est sa nature et c’est peu dire qu’elle me l’a bien transmise - surtout pour le changement à Valence, donc, pendant lequel ma grand-mère aurait cinq minutes pour attraper son âne mort, descendre du train, puis passer sur un autre quai et répéter l’opération dans l’autre sens. Ma grand-mère, elle, ne semblait jamais éprouver la moindre anxiété. Et pour cause. A peine sortie de la gare de Perrache, elle aurait déjà tissé des liens avec - mais comme c’est étrange - un jeune homme charmant qui s’occuperait d’elle jusqu’à Briançon et porterait les saucissons à sa place. Quand ça n’était pas avec le wagon entier qui finirait par tout connaitre d’elle, de sa naissance à Bourg Argental dans la Loire à son déménagement à Gap où mon grand-père était imprimeur, puis à Lyon pour s’occuper notamment de mon premier petit frère qui le pauvre avait failli y passer avec une mauvaise coqueluche à deux mois.
La volubilité de ma grand-mère agaçait souvent ma mère qui a toujours tenu davantage de son père, bien plus taiseux. Mais cette capacité à se foutre éperdument de ce que pouvaient bien penser les autres et à susciter une sympathie quasi immédiate - elle ne faisait pas que parler, elle écoutait beaucoup aussi - lui a, entre autres, permis de voyager seule jusque tard, sans jamais redouter de ne pas arriver à attraper sa valise ou de rater sa correspondance (nulle doute que même là elle serait parvenue à squatter chez un jeune homme charmant à Valence).
Je me dis souvent qu’elle aurait trouvé cette période actuelle très triste, tant il est vrai que désormais, parler à des inconnus dans un train, une boulangerie ou une salle d’attente est perçu comme un signe de sénilité ou d’impolitesse. Quoi, on ose me déranger alors que je suis sur le compte Insta d’une ancienne gagnante de Koh Lanta ?Personnellement, sans être avide de tisser des liens avec des gens que je ne connais pas, je crois avoir hérité de sa tendance naturelle à la discussion “pour rien”. J’aime renseigner un touriste sur son itinéraire et lui glisser au passage un avis sur l’endroit qu’il s’apprête à visiter. Je suis la première à m’immiscer dans une conversation si j’entends deux personnes évoquer un sujet sur lequel je peux potentiellement apporter mon grain à moudre. D’une manière générale, foutez moi dans un carré TGV et je passe davantage de temps à écouter le couple d’à côté qui s’engueule ou le babillage de deux amies qu’à lire mon bouquin. Un travers qui horripile le churros, surtout si je passe un diner à tendre l’oreille vers la table d’à côté qu’à écouter ce qu’il a lui à me dire.
Je ne sais plus très bien où je voulais en venir, je crois qu’en vérité, j’avais surtout envie de faire revivre pendant quelques minutes ma grand-mère qui me manque terriblement. Notamment ses expressions toutes faites, la poule blanche qui a toujours mal au cul ou à la hanche, mange tu sais pas qui te mangera, je ne renierai jamais mon derrière pour un pet et j’en passe et des meilleures.
Au delà de ça, après avoir lu cet article dans lequel un scientifique expliquait qu’on sous estime souvent ce qu’on peut avoir à retirer d’une conversation apparemment anodine avec un inconnu, je me suis dit que si chacun d’entre nous s’astreignait à dire quelques mots à un inconnu chaque jour, on y gagnerait tous. Si nous essayions de lever le nez de nos portables pendant nos trajets ou la file d’attente à la caisse, juste pour commenter le choix de yaourt de la personne devant ou simplement faire un sourire approbateur en regardant la couverture du livre du voisin d’en face dans le train, parce qu’on l’a aimé nous aussi ce bouquin, on retisserait des liens qui mine de rien font de nous des êtres sociaux. Et qui sait, ça permettrait peut-être à une vieille dame d’obtenir facilement de l’aide pour attraper sa valise pleine de saucissons de Lyon.
PS: comme je ne suis pas à une contradiction près je suis tombée dans le vortex d’instagram peu après cet article et de fil en aiguille, sur le compte de Kevin Bacon dont j’ignorais qu’il chantait aussi bien. ça m’a donné envie de revoir Footlose, que j’ai fait découvrir à Rose, qui a adoré. Parfois, Insta c’est chouette.
Small talk
Merci pour ce portrait de ta grand-mère, ses expressions me régalent ! J'avoue une certaine ambivalence sur ce sujet du small talk: toujours partante pour l'initier mais pas toujours très ouverte quand quelqu'un me sollicite. Enfin, un gros fond de méfiance à surmonter (merci le harcèlement de rue). En lisant le compte Insta Merci à un inconnu, je re-découvre à quel point quelques mots ou un sourire peuvent changer la journée d'une personne.
Le câlin d'une mamie dure longtemps même après qu'il ne se termine 💗💗💗